quinze - Esmée

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La voix de Kayla a brisé le silence pesant, qui nous avait envahies depuis que nous avions posé le pied sur ce quai.

-Alors, quand est-ce que tu reviens ?

La question ne m'était pas adressée. Kayla interrogeait Myriam.

J'ai senti mon coeur faire un bond dans ma poitrine. Myriam a imperceptiblement haussé les sourcils, surprise, avant de sourire à ma petite soeur, ses yeux passant ensuite de Kayla à moi.

-Eh bien ça dépend... Est-ce que je suis invitée ?

Son regard s'est attardé sur moi et j'ai fait preuve d'un sang-froid surhumain pour réussir à ne pas m'empourprer. J'ai ouvert la bouche mais les mots se sont coincés quelque part dans ma gorge.

Que pouvais-je bien répondre ? Que j'étais dévastée rien qu'à l'idée de la quitter le soir-même ? Que j'aurais voulu que cette journée ne finisse jamais, et que puisqu'elle devait finir malgré tout, j'espérais en vivre avec elle des dizaines d'autres ?

J'ai pris une profonde inspiration et dans un miracle, j'ai finalement réussi à produire des sons intelligibles.

-Tu seras toujours la bienvenue ici, ai-je dit doucement. Quand tu voudras.

Le sourire de Myriam s'est élargi, illuminant son visage tout entier. Elle s'est tournée de nouveau vers ma soeur, qui ne cachait plus sa joie.

-Alors je reviendrai.

Kayla a eu l'air satisfaite de cette réponse.

J'ai serré ma soeur contre moi, et Myriam et moi avons pris la direction de l'escalier qui permettait de traverser les voies par un tunnel.

Lorsque nous avons surgi de l'autre côté, Kayla nous a fait signe du quai d'en face. Et puis elle s'est adossée contre le mur de la gare, alors que nous avions bien convenu qu'elle rentrerait tout de suite à la maison dès que j'aurais franchi ce tunnel.

La nuit n'allait pas tarder à tomber et je n'aimais pas la savoir seule sur un quai de gare, mais je savais que dans ce cas précis, il n'y avait rien à faire pour l'en déloger jusqu'à ce que le train nous ait emportées.

Une fois montées à l'intérieur, je me suis collée à la vitre pour lui faire signe, mais le soleil rasant de cette fin de journée créait des reflets éblouissants sur la rame. Kayla faisait signe n'importe où, sans nous voir, en espérant que nous, de notre côté, la verrions, et mon coeur s'est serré un peu plus.

Le train s'est ébranlé et bientôt le quai a disparu, laissant place à un immense parking puis à une kyrielle de petits pavillons avec jardins qui se ressemblaient tous.

Et puis les bois, que l'on devinait au-dessus des talus creusés à flan de colline où serpentaient les voies de chemin de fer.

Je n'avais jamais aimé cette partie du trajet, en contrebas, condamnée à regarder défiler de la terre remblayée et les poteaux électriques espacés régulièrement, devinant des bouts de ciel à travers les branches. Néanmoins je me consolais en me disant qu'à l'heure qu'il était, on ne distinguerait très bientôt plus le paysage, quel qu'il soit.

Lorsque je me suis de nouveau tournée vers Myriam, elle posait sur moi un regard subtilement inquiet.

-A quoi penses-tu ? m'a-t-elle interrogée finalement.

J'ai ri et baissé les yeux, gênée.

-Je me demandais si je déteste plus venir ici ou en repartir.

Elle a esquissé un sourire, d'une légèreté si évanescente que lorsqu'il a disparu presque aussitôt, je me suis demandé si je ne l'avais pas rêvé.

Drache poétique [gxg]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant