quatorze - Esmée

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Voilà des années que je n'avais pas mis les pieds dans ce parc. Les arbres se trouvaient presque nus en cette fin novembre, et quelques flaques de la veille substistaient sur les chemins de terre. J'entendais résonner des cris joyeux, venant sûrement de l'aire de jeux un peu plus loin, et nous avions croisé quelques bambins en tenue de circonstances, à savoir ciré et bottes de pluie.

Kayla avait pris Myriam par le bras et l'entraînait au devant de moi dans une visite guidée personnalisée. Je les regardais marcher toutes les deux, cinq bons mètres derrière ce duo insolite. Myriam se retournait régulièrement vers moi en riant, pour me faire partager ces instants. Elle rattrapait de sa main libre ses cheveux soulevés par une bourrasque, et inévitablement quelques mèches échappaient à son contrôle, venant balayer son visage. Elle me faisait un clin d'oeil et se tournait à nouveau vers Kayla, lui redonnant toute son attention.

J'aurais aimé dire quelque chose à ma soeur, comme quoi kidnapper mon invitée n'était pas le summum de la bienséance, mais ça aurait été nous priver de ce moment de paradis.

Une fraction de seconde durant, je me suis demandé ce que pourrait bien penser Julia de la situation dans laquelle nous nous trouvions, Myriam et moi. Enfin, surtout moi à vrai dire.

L'idée de ce week-end à la campagne avait été directement désapprouvée par ma meilleure amie, bien évidemment. Néanmoins j'avais quelque chose à prouver, alors j'avais insisté sur le bien-fondé de mon idée. J'étais capable de mettre de côté les hypothétiques sentiments que je pouvais avoir pour cette femme et n'être que son amie, sincèrement, avais-je affirmé une nouvelle fois. J'y croyais alors dur comme fer.

Julia avait haussé un sourcil dubitatif mais résigné, et m'avait répondu laconiquement :

-Tu fais le crash-test d'une voiture dont tu tiens le volant.

Pour être tout à fait honnête, lorsque j'ai tourné la tête pour voir une Myriam attentive à demi-accroupie au bord du chemin, tandis que Kayla s'était enfoncée jusque mi-mollet dans un tas de feuilles mortes humides pour lui montrer Dieu-sait-quoi, j'y croyais beaucoup moins.

Je me suis approchée, et je me suis accroupie à côté d'elle, penchant la tête en avant et plissant les yeux pour tenter de comprendre ce que je devais voir.

-Qu'est-ce qu'on regarde, là ? ai-je fini par demander après quelques secondes.

-Kayla a vu une musaraigne. Ou un mulot, je t'avoue qu'on ne sait pas trop.

Ma soeur avait pris la posture du chat en chasse, et Myriam arborait les mêmes sourcils froncés par la concentration qu'au café de Saëns, lorsqu'elle lisait un article important.

-Je crois que je l'ai perdue, a grimacé Kayla d'un air concerné. Je la retrouve pas, plus rien ne bouge.

-Bon, eh bien reviens-là alors, ai-je soupiré. Tu vas finir par perdre une chaussure là-dedans et je refuse d'aller la chercher.

L'adolescente a obtempéré et rejoint le chemin carrossable, pantalon et chaussures trempés. Je l'ai observé de pied en cap, sourire aux lèvres, et ça ne lui a pas plu.

-Arrête de te foutre de moi ste plaît.

-Je ne me fous pas de toi, ai-je répondu sans me départir de mon sourire. J'ai seulement hâte de te voir expliquer à Maman comment tu t'es mis dans cet état.

-D'ici à ce qu'elle rentre ça aura séché, je dirai que j'ai trébuché. Méchante, a-t-elle ajouté dans une moue.

Je me suis tournée vers Myriam pour qu'elle prenne ma défense, mais au contraire elle a acquiescé en souriant. J'ai haussé des sourcils surpris, et elle a éclaté de rire.

Drache poétique [gxg]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant