J'ai poussé la porte du California pour trouver Julia derrière le bar, tablier noir noué autour de sa taille. Elle semblait concentrée sur la préparation de plusieurs cocktails et n'a pas remarqué tout de suite ma présence.
Quand elle a levé la tête et posé les yeux sur moi, son visage s'est éclairé.
- Prudence ? l'ai-je interrogée après l'avoir saluée.
- Derrière, m'a-t-elle répondu dans un sourire, avec un mouvement de tête en direction de l'arrière-salle.
J'ai longé le bar jusqu'au fond de la pièce, avant de passer derrière un lourd rideau de velours que j'avais toujours trouvé atrocement kitsch.
Dès lors, l'ambiance lounge a disparu pour laisser place à la sobriété de notre arrière-salle, qui jouait non seulement les rôles de cellier et salle de pause des employés, mais aussi ceux de régie et loge d'artiste les grands soirs. De nombreux paravents servaient à délimiter les espaces encombrés, au point de rendre la circulation un peu labyrinthique.
- Prudence ? ai-je appelé à la cantonade, sans grande certitude.
- Je suis là trésor ! m'a finalement répondu une voix rauque au loin.
J'ai enjambé deux ou trois colis pas encore passés par l'inventaire, avant de me frayer un chemin entre les spots entreposés là et les tenues de scène sur cintres.
Prudence se trouvait un peu plus loin, enfumée dans un nuage de laque, ou du moins c'est ce que j'en ai déduit à l'odeur typiquement chimique. J'ai plissé les yeux par réflexe, agitant la main autour de moi pour tenter de retrouver une atmosphère respirable.
- Comment tu me trouves ? m'a-t-elle questionnée.
Prudence avait interrompu la vaporisation consciencieuse de sa permanente aux boucles noir de jais, laissant son bras suspendu dans les airs durant une ou deux secondes avant de reposer la bombe de laque sur la table.
- Eblouissante, ai-je répondu. Comme toujours.
C'était on-ne-peut-plus vrai.
- Julia m'a dit que tu étais nouvellement le personnage principal d'un roman à l'eau de rose ?
Prudence avait pris ce ton maternel qu'elle utilisait sur nous de temps à autres, à cheval entre l'inquiétude et la confidence, et je n'ai pas pu retenir un sourire.
- Ne me dis pas que tu vas me faire la leçon, toi aussi...
- Pas du tout ! Tu me connais, je suis curieuse c'est tout. Raconte-moi.
J'ai souri niaisement et me suis exécutée :
- Elle s'appelle Myriam, elle est prof de sociologie à la fac. C'est une des personnes les plus brillantes que j'ai pu rencontrer, je la trouve magnifique et en plus elle est adorable. Et vraiment pas compliquée, ça me change des nanas que je fréquente d'habitude.
- Donc... Tu la fréquentes ?
- Pas dans ce sens-là, non... Elle est mariée, et elle a un enfant, une petite fille. Donc je me contente de ce qu'elle veut bien me donner, c'est déjà ça. On est amies, et ça s'arrête là.
- Vu comme ça, ça ne vend pas du rêve, ton truc. Je veux qu'on me rembourse, a maugréé Prudence dans un sourire.
- C'est Julia qui a parlé du roman à l'eau de rose, pas moi.
- Tu n'as pas envie de l'inviter ici, innocemment, un soir ? Comme ça je tâte le terrain et je te dis si mon gaydar s'affole.
- Pas besoin, je sais déjà que c'est de l'ordre de l'impossible. Et puis je n'ai pas forcément envie de la faire venir ici.
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Drache poétique [gxg]
RomanceLes histoires de destinée, c'est de la connerie, je l'ai toujours dit. Mais ce jour-là, une prof de fac pour qui j'avais craqué trois ans auparavant s'est assise, à côté de moi, à une conférence organisée par l'association queer du coin. Alors je me...