Dans la nuit noire, nous avons finalement distingué la Tour Perret par la vitre. L'unique gratte-ciel amiénois s'élevait derrière la colline, éclairé par ses habituels spots rouges orangés, et la ville toute entière n'a pas tardé à apparaître après un dernier virage.
Esmée s'est penchée vers moi une courte minute plus tard et a désigné les habitations de l'autre côté des voies ferrées.
-Dans un de ces jardins, il y a une collection phénoménale de nains de toutes les couleurs. Si tu reprends le train de jour je t'assure que ça vaut le coup d'oeil.
Nous avions échangé peu de mots sur cette fin de trajet de retour, sans pour autant que l'atmosphère ne devienne pesante. Ma main était restée sur la sienne, dans un geste que je ne savais pas m'expliquer. Une sorte de moment de consolation réciproque.
Esmée en avait certainement plus besoin que moi, mais après les sujets abordés au début de notre trajet, je n'y rechignais pas non plus.
Certains passagers s'étaient levé et rejoignaient les portes les plus proches sans susciter le moindre intérêt de ceux restés assis. Moi-même, je ne leur avais pas prêté attention une seconde, jusqu'à ce qu'une voix féminine s'adresse très clairement à ma voisine.
-Esmée ? Wow c'est dingue ça !
Esmée et moi avons levé la tête vers la propriétaire de la valise cabine vert pomme qui stationnait dans l'allée, à notre hauteur. De fines bagues dorées recouvraient la main posée sur la poignée du trolley, et ses cheveux blonds encadraient un visage de porcelaine.
J'ai lâché la main d'Esmée tout en douceur, pour ne pas l'embarrasser devant la jeune inconnue, mais aussi pour qu'elle n'aille pas imaginer que j'étais moi-même gênée d'être surprise dans cette posture.
Ce que j'étais un peu, en toute honnêteté, car j'avais la sensation qu'un moment important avait été interrompu, bien que j'aurais été incapable d'expliquer pourquoi.
-Salomé ?
Esmée semblait tout aussi surprise que son interlocutrice. Elle s'est levée de son siège, et j'ai replié les jambes sous le mien pour la laisser passer devant moi.
-Mais qu'est-ce que tu fais là ? a-t-elle demandé à la jeune femme.
-Je fais mon master ici, j'en avais assez de Lille je t'avoue, et puis avec le train c'est plus facile pour revenir chez les parents. Tu es allée voir ta soeur ce week-end ?
-Oui on rentre là, on n'est pas restées trop longtemps.
Esmée s'est tournée vers moi et a fait les présentations.
-Myriam, c'est Salomé, une copine de lycée que j'ai pas revu depuis quoi... Cinq ans ?
-Depuis le lycée en fait, a ri la jeune femme.
Esmée a acquiescé en silence et j'ai adressé un sourire poli à Salomé. Tout en parlant, Esmée a attrapé son sac posé sur le siège d'en face, et m'a tendu le mien dans un geste réflexe. Une fois le train à l'arrêt, j'ai fini par me lever, et je les ai suivies dans l'allée jusqu'à l'extérieur.
-Et Laura, qu'est-ce qu'elle en pense, de ton installation ici ? a interrogé Esmée.
-Eh bien ça fait partie des raisons pour lesquelles j'en avais marre de Lille, on a rompu y a presque un an, alors... C'est un argument de plus pour rentrer dans ma région natale, a-t-elle ri de nouveau. Et puis le master de socio est vraiment bien ici, plein de profs viennent de Paris donc le niveau est au top.
J'ai vu Esmée se tourner vers moi au ralenti. A cet instant-là, j'aurais vraiment préféré que la Terre s'ouvre sous mes pieds et m'engloutisse toute entière.
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Drache poétique [gxg]
RomanceLes histoires de destinée, c'est de la connerie, je l'ai toujours dit. Mais ce jour-là, une prof de fac pour qui j'avais craqué trois ans auparavant s'est assise, à côté de moi, à une conférence organisée par l'association queer du coin. Alors je me...