2 : Dommage

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2 ans plus tard, Juillet 2005

- Suzuki, c'est...

- Encore une catastrophe. Tu peux le dire, Mitsuya.

Il a un sourire avant de pousser un soupir.

Depuis notre 5ème, je suis inscrite dans le club de couture avec Takashi Mitsuya. Mais contrairement à lui je suis une piètre couturière, pour ne pas dire terriblement mauvaise. Jusqu'ici, je n'ai réussi qu'à produire des t-shirts ou des accessoires lamentables.

- Tu devrais peut-être choisir un autre club au lycée, dit-il. J'ai entendu dire que tes résultats s'étaient améliorés en sport...

- Président, tu peux venir m'aider ? quémande alors une de nos camarades.

Mitsuya m'adresse un dernier sourire avant de rejoindre la fille qui l'a appelé. Au moins, lui s'est particulièrement bien réalisé dans ce domaine, jusqu'à devenir président de notre groupe.

Au cours des deux premières années de collège, il m'a toujours donné des conseils pour m'améliorer dans la couture, et ce, sans jamais me juger. S'il en vient à me proposer de m'orienter dans un autre club pour le lycée, c'est dire à quel point mon cas est désespéré.

Il a toujours été très gentil avec moi, bien que notre relation ne s'arrête qu'à se côtoyer lors de ces quelques heures de couture. En dehors de ça, il m'a toujours eu l'air d'être très occupé.

La sonnerie retentit alors dans tout le collège. Soulagée d'en avoir fini pour aujourd'hui, je quitte la salle avant tout le monde en prenant le soin de jeter mon semblant de t-shirt à la poubelle. La réussite, ce sera pour une autre fois...

Emma vient enrouler son bras autour du mien lorsque je sors du bâtiment, son visage éclairé d'un sourire joyeux.

- Kelly ! s'exclame-t-elle. Comment ça s'est passé ?

Je m'apprêtais à lui répondre mais Ayame nous rejoint au même moment, ses cheveux châtains flottants derrière elle comme une bannière.

- On sort ce soir ? propose-t-elle en plongeant une main dans son sac.

- On a une tonne de devoirs, on peut pas...

- Ayame, qu'est-ce que je t'avais dit à propos des cigarettes ? me coupe Emma, agacée.

Nous ne sommes même pas sorties de la cours du collège qu'elle coince déjà une clope entre ses lèvres, approchant la flamme vacillante de son briquet de l'embout. Mais c'était sans compter sur Emma qui lui arrache la cigarette des doigts pour la jeter par terre et l'écraser avec son pied.

- Eh ! s'indigne Ayame, énervée à son tour. T'as une idée du prix que ça coûte ?

- Ça, ça m'est égal, c'est de ta santé dont je me soucie.

Je les écoute se chamailler jusqu'à la sortie sans intervenir. Elles fonctionnent comme ça depuis que nous sommes petites. Autant dire que la 5ème d'Ayame et moi était plus que calme, puisqu'Emma n'était plus là pour la réprimander chaque fois qu'elle en avait l'occasion.

- C'est pas quand je serai morte que je pourrai profiter de la vie !

- C'est en te détruisant les poumons que tu profites de ta vie, toi ?

- Exactement, rétorque Ayame sur un ton de défi.

Sortant une deuxième cigarette, elle l'allume en prenant le soin de regarder Emma dans les yeux. Résignée, cette dernière pousse un profond soupir mais n'ajoute rien.

Arrivées à l'angle d'une rue, Ayame tourne à droite pour rentrer chez elle tandis que nous allons à gauche. Mettant son agacement de côté, elle nous fait de grands signes de la main en guise d'au revoir.

- C'est bientôt Tanabata, remarque Emma en rejetant ses cheveux blonds en arrière. T'as toujours personne avec qui y aller ?

- Non, je réponds en essayant d'adopter un ton dégagé. Et toi, ça avance avec le tressé dont tu nous as parlé ?

Ses joues se colorent.

- Pas vraiment, mais je compte passer ce festival avec lui. C'est pas tous les jours qu'on a cette occasion !

J'acquiesce d'un signe de tête sans répondre.

En réalité, j'ai eu la possibilité de fêter Tanabata avec un garçon ; pas plus tard qu'hier, un de mes camarades de classe me l'a proposé, mais j'ai refusé. En fait, ce n'était pas vraiment venant de lui dont j'espérais entendre cette proposition...

- À demain, Kelly !

Perdue dans mes pensées, je ne m'étais pas rendue compte que nous avions déjà atteint ma maison.

- À demain, je réponds avec un sourire.

Mais celui-ci s'efface aussitôt que la silhouette d'Emma disparaît.

Inspirant profondément, je pousse la porte d'entrée avant de la refermer derrière moi. Je rejoins le salon en traînant des pieds comme pour repousser le moment où j'y pénétrerai.

Lunettes de vue sur le bout du nez, mon père relève la tête de son journal en s'apercevant de ma présence. Ses cheveux grisonnants accentuent son air sévère que je lui ai toujours trouvé.

- Lève les pieds, somme-t-il sans même me saluer. Des notes ?

- 17 en maths, j'annonce, la mine sombre.

- Bien mieux que le 14 en histoire d'hier.

Il a un reniflement dédaigneux puis reporte son attention sur son magazine en tournant brusquement une page.

14. Ayame et Emma n'ont pas arrêté de me répéter que c'était une bonne note, mais ce n'était pas suffisant pour mes parents. Et pour moi non plus d'ailleurs.

- Je suppose que tu as des devoirs ? poursuit-il.

Je hoche la tête. Comprenant qu'il est temps pour moi de quitter le salon, je rejoins ma chambre à pas lourds. Ce soir encore, une montagne de leçons à réviser m'attend.

Mes parents m'ont toujours répété que ça ne servait à rien de se contenter d'obtenir de bonnes notes. Il faut que je sois la meilleure. La première de classe.

Avec le temps, j'ai fini par penser comme eux. Et si au début cela me convenait, aujourd'hui, je me demande si je n'ai pas envie de faire autre chose que ça.

Je tourne la tête vers ma fenêtre en m'asseyant derrière mon bureau. Le soleil brille encore dans le ciel, éclairant et réchauffant ma chambre de ses rayons, mais même ceux-ci me paraissent ternes. J'aurais préféré sortir avec Ayame... Mais une pile de cahiers m'attend.

Dommage pour moi.

Mille couleurs (Mitsuya x OC)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant