12 : La couleur de ces souvenirs

690 51 11
                                    

J'ouvre difficilement les yeux. Le lit double d'Emma étant vide, je devine que j'étais la seule à être encore endormie. Cette pensée est confirmée par des éclats de voix venants du salon. 

Somnolente, je repousse la couette pour me lever et descendre les escaliers d'un pas traînant. Je passe une main dans mes cheveux emmêlés et m'aperçois que je porte encore le ruban que Mitsuya a noué quelques heures plus tôt.

- Eh ! s'exclame la voix d'Ayame. C'est mon assiette ! 

- Plus maintenant, répond Mikey.

Lorsque j'arrive à table, ce dernier est occupé à racler les restes du petit déjeuner d'Ayame pour le finir.

- Arrêtez de vous disputer vous allez finir par..., s'agace Emma, mais elle remarque ma présence et s'adoucit aussitôt. Kelly ! Tu t'étais pas démaquillée ?

Je comprends trop tard que je n'aurais pas dû me frotter les yeux. Ces derniers se mettent à pleurer et à me piquer, et mes doigts sont à présent noirs de mascara. 

- Tu rech'bles à un p'da comme cha, dit Mikey.

- Parle pas la bouche pleine toi, soupire Ayame.

Elle lui donne une tape derrière la tête, chose qu'elle n'aurait pas dû faire puisqu'il lui rend immédiatement. Alors qu'ils commencent à se battre comme des gamins, Emma se lève pour débarrasser son bol.

- Va dans la salle de bain, je vais te préparer à manger pendant que t'enlèves ton maquillage, me dit-elle. 

Cette fille est un ange tombé du ciel.

- Merci... Au fait, Mitsuya est pas là ? 

- Non, ils sont partis à l'aube, répond-elle avec un haussement d'épaules. Mon grand-père se lève tôt. 

- Tu t'intéresses à Mitsuya ? me lance Mikey, mais Ayame lui arrache quelque chose des mains au même moment. Rends moi ça, Mori ! 

- Tu dors vraiment avec ce truc ? se moque-t-elle. Emma m'avait pas menti...

- Emma ! Pourquoi tu lui as dit ?

J'ai l'impression de laisser la mère et ses enfants en remontant les escaliers pour aller dans la salle de bains. J'entends encore leurs chamailleries lorsque je me penche vers mon reflet.

Je me dépêche d'enlever les restes de maquillage, mes yeux me brûlant de plus en plus. De légères cernes apparaissent alors, signe que la nuit a été vraiment courte pour moi. Mais pour la première fois, je ne suis pas fatiguée à cause de mes devoirs... Non, hier soir, j'ai vécu mon second tête-à-tête avec Mitsuya.

Et ce souvenir me paraît plus coloré que tous les autres.

⋆˚ 。✿ 。˚⋆

- Pas ici ! J'ai passé la serpillère !

Je manque de glisser en posant mon pied sur le parquet brillant de propreté. Cheveux châtains relevés par une pince et le front luisant de sueur, ma mère s'attaque à présent au micro-onde pour la troisième fois.

J'ai l'impression de voir une caricature ambulante en m'avançant vers elle.

- Tu devrais ranger ta chambre, me lance-t-elle. Elle est dans un état lamentable. 

- Je vais bien, merci de demander, je marmonne.

Elle ne répond pas et se contente de jeter son éponge dans l'évier. Elle frotte ses mains mouillées sur son tablier gris avant de se tourner vers moi. Son regard m'ordonne de m'assoir et je ne songe pas à désobéir. 

- J'espère que tu n'as pas prévu de sortir tous les jours pendant les vacances, dit-elle d'une voix froide. J'ai regardé ton agenda, tu as beaucoup d'évaluations pour la rentrée... Sans parler de la poésie que tu as à rédiger en Japonais...

Mes doigts se crispent sur mon jean. 

- En plus, tu devras la lire à voix haute devant tout le monde, c'est bien ça ? poursuit-elle.

Ma gorge se noue et je me contente d'acquiescer, incapable de répondre. J'avais complètement oublié tout ce que les profs nous ont donné...

J'ai l'impression de voir des exercices de maths mélangés à des lignes de poésie danser sous mes yeux alors que ma mère continue de parler.

- ... On veut que tu aies la note la plus haute. Surtout en histoire, tes résultats laissent de plus en plus à désirer.

- Mais j'ai eu 15 ! je proteste. La fois d'avant, j'avais eu 14...

- Ce n'est pas assez ! me coupe-t-elle. On fait ça pour toi, Kelly, alors montre toi à la hauteur de notre éducation...

Je déglutis. Au fond de mes entrailles, j'ai l'impression de sentir une créature remuer. Je m'efforce de penser à autre chose pour l'apaiser, sinon la colère lui fera prendre vie. 

- On s'efforce de te donner le meilleur, alors sois reconnaissante...

- Mais je vous ait rien demandé, à papa et à toi !

- Silence ! gronde-t-elle. Va dans ta chambre, range la, et commence tes devoirs. 

Je n'essaie pas de protester et tourne les talons en direction de ma chambre. Cette dernière ne m'a jamais parue aussi sombre, et les fiches de révisions qui s'éparpillent sur le bureau ainsi que sur le lit n'arrangent rien. J'ai l'impression d'être submergée par tous ces devoirs qui m'attendent, ainsi que par la pression écrasante que vient de me donner ma mère. 

Il faut que je réussisse... Alors, peut-être que je pourrai enfin faire autre chose... Sortir, profiter, ne plus jamais penser à ça...

En m'attaquant aux affaires qui jonchent le sol, la main froide et cruelle de l'angoisse sert ma gorge et ma poitrine. De nouveau, j'essaie d'orienter mes pensées vers autre chose. 

« J'ai arrêté de détester la situation dans laquelle j'étais né. »

Ces mots, prononcés d'une voix douce, résonnent dans mon esprit et me donnent soudain un élan de courage. Les définitions et les formules de maths laissent la place aux peu de moments passés en compagnie de Mitsuya. 

C'est drôle... Je n'avais jamais remarqué à quel point le rose des murs de ma chambre était chaleureux.

Mille couleurs (Mitsuya x OC)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant