Silencieusement, Mitsuya s'assoit à la place qu'occupait Ayame quelques secondes plus tôt. Ne souhaitant pas réitérer l'expérience désastreuse de la cigarette, je l'écrase sur le béton pour l'éteindre. Tant pis pour la pollution.
- T'es tout seul ? je demande au bout de plusieurs minutes de silence.
- Mikey s'est fait prendre, répond-il en ricanant légèrement.
Je ne dis rien, le regardant quelques secondes avant de reprendre finalement la parole :
- Sa sœur m'a dit que t'étais dans son gang.
Il tourne la tête vers moi.
- J'aurais préféré que tu l'apprennes autrement...
- T'es déçu ?
- Je suppose que t'as plus la même image de moi, fait-il avec un sourire à la fois amusé et gêné.
Je le dévisage de nouveau, plus longuement cette fois. Effectivement, je sais que je ne le verrai plus de la même façon qu'avant ; mais personne ne pourra m'enlever cette image de gentil garçon qu'il a toujours donnée. Qu'il fasse partie d'un gang ou non, cela ne change rien au comportement bienveillant qu'il a avec les autres.
- Tu voudrais que je te vois comment ?
Il réfléchit un moment, les yeux à présent levés vers le ciel.
- Du moment que tu me considères ni comme une brute, ni comme Asano, ça me va, conclue-t-il.
J'éclate de rire à ces mots.
Derrière nous, la musique dansante s'éteint pour passer à un slow. Les filles poussent des exclamations de joie tandis que les garçons se mettent à râler.
- Elle insistait pour qu'on danse ensemble, ajoute Mitsuya. Heureusement que je suis plus à l'intérieur, sinon elle m'aurait coincé pour ce slow.
- C'est danser ou Asano que t'aimes pas ?
- T'es perspicace, rit-il.
Je remarque immédiatement qu'il a esquivé la question, mais je ne relève pas.
- Au fait Suzuki, reprend-il, par rapport au vœu que t'as fait à Tanabata... Est-ce que je peux te demander pourquoi celui-là exactement ?
Surprise qu'il s'en souvienne, je reste muette. Nos regards se croisent et, comme lorsqu'il a lu mon vœu à voix haute, je ne décèle aucune trace de moquerie.
Non, cette fois encore, Mitsuya est simplement curieux.
- Désolé, c'était déplacé, dit-il en voyant que je ne réponds pas.
Je ramène mes genoux vers ma poitrine et enroule mes bras autour de mes jambes. Comment résumer efficacement ce que je ressens sans trop en dire ?
- C'est que..., je commence d'un ton hésitant. J'ai l'impression de ne rien avoir vécu.
- Comment ça ? s'étonne-t-il.
- Mes parents n'ont fait que m'éduquer dans le but que je réussisse à l'école. Si j'avais pas Ayame et Emma, je ne ferai que réviser à longueur de journée. J'ai l'impression de ne rien savoir faire d'autre que ça. Comme si j'étais...
Je marque une pause. Mitsuya ne détache pas son regard de moi et semble sincèrement intéressé par ce que je raconte. J'ai déjà l'impression d'en avoir trop dit, mais ses yeux m'encouragent à finir ma phrase :
- ... une coquille vide.
- Si j'ai bien compris, ce sont pas tes parents qui t'ont appris à profiter ?
J'acquiesce d'un signe de tête.
- Je pense que tu as tort, dit-il. T'es pas une coquille vide, Suzuki. Peu importe l'éducation que t'as reçu.
- Même si je connais même pas ma couleur préférée ? j'objecte.
- Tu la connais, assure-t-il. De quelle couleur étaient les motifs sur ton yukata à Tanabata ?
- Lavande.
La rapidité de ma réponse le fait sourire.
- Et de quelle couleur est le ruban pour cheveux que t'essaies de faire au club de couture ?
- Lavande aussi.
Réalisant soudain, j'écarquille les yeux et détourne le regard. Mitsuya a un petit rire, amusé et satisfait de lui-même. Voyant que je n'ajoute rien, il se relève et tend sa main vers moi pour que je la prenne.
- J'étais comme toi il y a quelques années, dit-il. Ma mère faisait que travailler donc je devais m'occuper de mes sœurs toute la journée. J'avais l'impression de passer à côté de mon enfance.
Il me tire vers l'avant, me forçant à me redresser à mon tour.
- Comment t'as fait pour faire changer les choses ? je demande.
- J'ai arrêté de détester la situation dans laquelle j'étais né.
Mitsuya lâche ma main et pose les siennes sur mes épaules, puis s'abaisse légèrement pour que son visage arrive à hauteur du mien. Il m'adresse un sourire encourageant qui semble réchauffer l'atmosphère et rendre la nuit plus claire.
- Tu peux profiter de ta vie. T'as juste à décider de quand tu veux commencer.
Aucun mot n'est assez fort pour exprimer ma reconnaissance. Jamais personne ne m'avait donné des conseils d'un tel poids et avec une telle gentillesse. D'autant plus qu'il n'est que le président du club dans lequel je suis, il n'avait aucune raison, ni aucun avantage à écouter mes plaintes.
- Mitsuya ? l'interpelle alors une voix à l'entrée du gymnase.
Ses mâchoires se contractent un instant avant que nous nous tournions en direction d'Asano.
- Tu viens ? Ils vont passer un dernier slow...
- J'arrive, accepte-t-il à contrecœur.
Elle disparaît de nouveau et Mitsuya lâche mes épaules.
- Bon courage, dis-je d'un ton amusé.
- J'en aurais besoin, rit-il.
Je le regarde s'éloigner, son rire résonnant encore étrangement dans mon esprit. Il était clair, pur, coloré. Comment un son aussi banal peut-il me paraître si différent de tous les autres lorsqu'il vient de lui ?
Ayame et Emma ressortent du gymnase au même moment, se précipitant vers moi avec des gloussements surexcités.
- Pourquoi vous êtes parties tout à l'heure ? je demande en me souvenant de leur départ soudain.
- Parce que la limonade est arrivée et qu'on voulait te laisser seule avec, répond Ayame avec impatience.
- Il a un nom, je grogne.
- Raconte nous au lieu de faire la rabat-joie ! Je voulais vous espionner mais Emma m'a obligée à revenir dans le gymnase...
- T'aurais été capable d'intervenir pour donner des conseils à Kelly, rétorque Emma.
- Je suis pas aussi indiscrète !
- Désolée, mais toi et la discrétion ça fait deux !
Ayame ouvre la bouche pour répliquer mais j'interviens avant qu'elles ne reprennent leurs chamailleries habituelles :
- Vous voulez pas reporter cette discussion à demain ?
- Bonne idée ! s'exclame Emma en changeant soudain d'humeur. Vous n'aurez qu'à venir chez moi... Et mon frère sera là, ajoute-t-elle à l'adresse d'Ayame.
Cette dernière réprime un sourire pour s'obliger à afficher une expression neutre, comme si la future présence de Mikey ne lui faisait ni chaud ni froid. En bref, un beau mensonge.
Emma et moi échangeons alors un regard, comme si nous nous étions mises d'accord par la pensée. Nous avons un autre plan en tête pour notre meilleure amie que de passer une soirée entre filles demain...
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Mille couleurs (Mitsuya x OC)
FanfictionFroide et terne. Voilà ce qu'était ma vie en dehors de mes deux meilleures amies, Ayame Mori et Emma Sano, ainsi que des heures passées en compagnie de Takashi Mitsuya au club de couture. Tout me semblait tristement livide. Mais évidemment, ce garç...