7 : T'es sûre de ça ?

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Pour la millième fois, je jette mon ruban raté à la poubelle. Même pour faire un fichu accessoire pour cheveux, les talents de couturière me font défaut. Je crois que je vais devoir me résoudre à changer de club au lycée...

Lorsque je retourne m'assoir derrière ma table exaspérée de mon propre échec, je ne m'aperçois qu'au dernier moment que Mitsuya a pris place à côté de mon tabouret. 

- Je démissionne, je bougonne en me laissant tomber sur mon siège.

- Réessaie une dernière fois, dit-il d'un ton encourageant. Ce sera peut-être la bonne.

Il me donne alors un ruban d'une longueur et d'une largeur idéale, qu'il semble avoir lui-même coupé à la perfection.

- Tu n'as plus qu'à faire la bordure, poursuit-il.

- T'es trop gentil avec les autres, je commente, touchée de son geste.

Du coin de l'œil, j'aperçois Asano me jeter un regard assassin tandis que Mitsuya a un petit rire.

- Je fais que mon travail de président du club, dit-il. T'as du potentiel, Suzuki, tu te mets juste une pression inutile.

- Président ? minaude alors Asano, m'empêchant de répondre. J'ai besoin d'aide.

Il lui adresse un sourire qui paraît la satisfaire puisqu'elle se repositionne sur sa chaise en se dandinant bêtement. Je me retiens à grande peine de lever les yeux au ciel, tout en ayant une petite pensée pour Ayame qui aurait sûrement fait semblant de vomir en voyant la scène.

Asano bat des cils lorsque Mitsuya se penche sur son vêtement.

- Tu devrais mettre un point ici, lui conseille-t-il.

Je fais mine de ne pas entendre en me concentrant sur mon travail, mais je ne peux m'empêcher de tendre l'oreille pour les écouter.

- Merci, répond-elle. Au fait, Mitsuya, je voulais te demander... Tu as quelqu'un pour le bal de demain ?

- Euh... Non, pourquoi ?

- Ça te dit qu'on y aille ensemble ?

Je déglutis. Non seulement je pensais qu'elle avait abandonné l'idée, mais en plus je ne m'étais pas rendue compte que cette soirée approchait à grands pas. Et bien évidemment, je n'ai toujours personne avec qui y aller.

- Pourquoi pas ? dit-il après quelques instants de réflexion.

Sa voix a une légère teinte d'amertume qu'Asano ne perçoit pas.

Je jette un regard furtif à Mitsuya qui a l'air de vouloir se trouver partout sauf à côté d'elle. Il tripote sa boucle d'oreille noire avec des gestes nerveux, mais elle ne semble pas décidée à le laisser s'échapper.

- Tu passeras me prendre ? poursuit-elle.

- Désolé, mais je dois rester avec mes sœurs pour les surveiller, répond-il. Il faut que j'attende que ma mère soit revenue avant de partir.

Asano tente vainement de cacher sa moue boudeuse.

- C'est pas grave, on se retrouvera au gymnase, conclue-t-elle finalement.

Mitsuya acquiesce d'un signe de tête avant d'aller vérifier que la couture des autres membres se passe bien. Elle le suit des yeux quelques secondes puis, malheureusement, croise le chemin des miens.

- Tu nous as écoutés ? me lance-t-elle.

- Non, dis-je d'un ton dégagé.

- Alors tu seras contente d'apprendre que j'ai demandé à Mitsuya de m'accompagner avant toi.

- Je comptais pas lui proposer quoique ce soit.

Les battements de mon cœur qui s'accélèrent viennent contredire mes paroles. Heureusement pour moi, Asano ne peut pas les entendre et semble mordre au mensonge car elle n'ajoute rien.

Ça m'avait effectivement effleuré l'esprit quelques fois, bien que ça n'avait rien de sérieux. Je ne pouvais pas sérieusement songer à proposer à Mitsuya de venir avec moi à la soirée...

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- Ayame m'a dit que t'avais toujours personne.

Le ton qu'Emma a employé me fait clairement comprendre qu'il s'agit à la fois d'un reproche et d'une déception. Les nuages orageux qui s'accumulent au-dessus de nos têtes alourdissent davantage l'atmosphère lorsque nous arrivons devant chez moi.

- Je ne serai pas seule puisqu'on sera ensemble, je renchéris.

- Hmm, fait-elle, sceptique. Si c'est ton choix j'ai rien à dire... 

- Je préfère mille fois y aller avec toi qu'avec un type de ma classe.

L'image de Mitsuya surgit alors dans mon esprit mais je m'empresse de la chasser en secouant la tête.

- T'es sûre de ça ?

- Mais oui ! j'assure d'un ton que je veux joyeux. On s'amusera mieux ensemble ! 

- On verra demain, répond-elle, visiblement peu convaincue. Je vais y aller avant qu'il pleuve, ajoute-elle en levant les yeux vers le ciel. On se retrouve devant le collège, comme d'hab !

Je la regarde partir en lui faisant des grands signes de la main, tout sourire. J'attends qu'elle disparaisse à l'angle de la rue pour ouvrir la porte de la maison. Je constate avec un certain soulagement qu'elle est vide, signe que mes parents sont encore à leur travail.

Je m'empresse d'ouvrir les volets pour faire entrer de la lumière, mais celle-ci me paraît ternie par l'ambiance froide et lugubre qui règne. La pluie commence à s'abattre sur les vitres que ma mère a passé des heures entières à astiquer, comme pour enlever le peu de chaleur qu'il pouvait rester dans la pièce. Le fait que tout soit récuré dans les moindres recoins, et rangé au millimètre près m'a toujours donné l'impression de vivre dans un magazine de meubles. Cette manie qu'elle a d'ôter le peu de bazar qu'il pourrait y avoir enlève tout semblant de vie de famille. 

Je me dirige vers ma chambre d'un pas lourd, ma bonne humeur ayant fondu comme neige au soleil. 

Seule pièce dérangée de la maison, elle aurait pu paraître agréable sans ces révisions qui s'amoncellent sur mon bureau. Je pousse un profond soupir avant de m'installer derrière, prête à rentrer ces lignes, ces définitions et ces formules de maths dans ma tête.

J'ai au moins la certitude que demain, une soirée bien différente de l'ordinaire m'attend. 

Mille couleurs (Mitsuya x OC)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant