Mille couleurs (Mitsuya x OC)

10 : C'est toi ?

Pressée de quitter la froideur de ma maison, je jette pêle-mêle quelques affaires dans un sac. Je ne fais pas bien attention à ce que je prends. Mon esprit est encore bloqué à la soirée d'hier, et plus particulièrement à l'instant où Mitsuya a posé ses mains sur mes épaules. Ces quelques minutes passées en sa présence me paraissent irréelles, comme vécues hors du temps.

J'ai l'impression que ce souvenir réchauffe le salon lorsque je le rejoins. Occupée à faire briller le micro-onde, ma mère me jette un rapide coup d'œil avant de retourner à sa besogne.

- Je suppose que tu manges pas ici ? me lance-t-elle de son habituelle voix dénuée d'émotions. 

L'image de Mitsuya disparaît soudain de mes songes et la pièce reprend cette teinte livide que je déteste.

- Je vais chez Emma, dis-je en me dirigeant vers l'entrée.

Elle ne répond pas et se contente de frotter un peu plus fort, chose complètement inutile puisqu'elle a nettoyé ce micro-onde pas plus tard qu'hier. 

Je sais que ma mère fait du ménage de manière excessive pour s'empêcher de penser. Elle n'a jamais été heureuse au sein de cette famille, et n'importe qui de sensé le verrait en franchissant le seuil de cette maison. J'en aurais presque de la peine pour elle. 

Je m'apprêtais à la saluer avant de me raviser au dernier moment, m'apercevant qu'elle ne fait même pas attention à mon départ. Sans perdre plus de temps, je sors enfin de chez moi et prends la direction de la maison d'Emma.

Lorsque j'entre dans sa chambre, Ayame et elle sont déjà installées autour de la petite table basse, des paquets de nouilles instantanées fumants devant elles. Elles m'ont visiblement réservé une place puisque mon repas m'attend également. 

- Vite, assieds toi ! me presse Emma, surexcitée. J'ai attendu ça toute la journée !

- Vous voulez savoir quoi ?

- Tout, dit Ayame en prenant ses baguettes.

Le regard tourné vers moi, elles commencent à manger en silence, attendant que je me lance.

- Quand vous êtes parties, Mitsuya s'est assit à côté de moi et on a rien dit pendant un moment... Ensuite, on a parlé de Tanabata et il a été très gentil avec moi. Mais surtout, il m'a aidée à me relever et...

Leur réaction aurait pu être similaire si Mitsuya m'avait embrassée. Ayame écarquille les yeux tandis qu'Emma plaque une main sur sa bouche.

- ... et il a mis ses mains sur mes épaules. 

Emma pousse un cri avant de se jeter sur moi pour me faire un câlin. 

- Tu crois pas que ta réaction est un peu excessive ? dis-je en me moquant doucement. 

- Ton premier contact physique avec un garçon ! s'extasie Ayame en collant ses mains l'une à l'autre, comme si elle faisait une prière. 

Dans un geste théâtral, elle fait semblant d'essuyer des larmes invisibles avec sa serviette. 

- Tu devrais plutôt nous raconter ton retournement de veste concernant Mikey, je rétorque. Comment tu l'as convaincu de venir à la soirée d'hier ?

Tandis qu'Emma se sépare de moi pour continuer son repas, Ayame entame un récit sur les réels sentiments qu'elle a éprouvé pour Mikey au cours de ces dernières années. Moi qui pensais qu'elle ne savait pas mentir, je suis étonnée de voir à quel point tout ça m'est passé sous le nez sans que je ne m'en aperçoive. 

La soirée se déroule comme toutes les autres que nous avons vécues ensemble ; des échanges de potins, des essais de nouvelles tenues et tout ce qu'on pourrait imaginer pour une nuit classique entre trois meilleures amies. Le temps défile si vite qu'Emma en moi en oublions presque le plan prévu pour Ayame et Mikey quand celui-ci reviendra.

Il est un peu plus d'une heure du matin lorsque la porte d'entrée s'ouvre, nous coupant la parole. Emma me fait un signe de tête avant que nous nous levions pour aller accueillir son frère. Leur grand-père étant certainement en train de dormir, nous descendons doucement les escaliers.

Au moment où Ayame pose son pied sur la dernière marche, celle-ci émet un craquement sonore qui nous fait sursauter.

- Pardon, pardon, pardon..., murmure-t-elle, paniquée. 

- Emma, c'est toi ? chuchote la voix de Mikey. Je suis venu avec les gars... Ah t'es avec Ayame, constate-t-il en arrivant à notre hauteur. 

- Comment ça t'es venu avec les gars ? s'indigne Emma.

Nous échangeons un regard contrarié. On comptait les laisser tous seuls dans le salon en s'éclipsant lentement... Mais si Mikey a ramené ses potes, ce plan tombe à l'eau.

Je remarque alors qu'il porte une tenue noire ressemblant fortement à l'uniforme d'un gang. Si c'est ça, ça veut dire que « les gars » sont en réalité...

- Draken ! souffle Ayame.

Celui-ci apparaît derrière Mikey, un sourire étiré sur ses lèvres qui s'élargit lorsqu'il voit Emma. Il est rapidement suivi d'un grand brun aux cheveux longs et brillants, d'un blond portant une boucle d'oreille d'argent, et inévitablement de Mitsuya. Ce dernier m'adresse également un sourire. 

Mais le parquet de l'étage supérieur se met à grincer, ce qui coupe court à tout enthousiasme. Tandis que Mikey s'empresse d'éteindre la lumière, Emma se dépêche d'entraîner de nouveau Ayame et moi dans sa chambre. Elle pousse un soupir de soulagement en fermant la porte, puis s'appuie contre le battant. 

- Et les garçons ? je demande.

- Ils se débrouilleront, Mikey fait ça tout le temps, dit-elle. Venez, il faut qu'on se couche si mon grand-père vient vérifier...

Le rythme cardiaque encore inhabituellement élevé, nous nous mettons en pyjama avant de nous caler sous sa couette. De peur de faire trop de bruit, nous n'essayons pas de relancer une quelconque conversation. 

Nous gardons un moment les yeux grands ouverts avant que le sommeil n'emporte finalement Ayame, puis Emma. De mon côté, je reste allongée sur le dos en me demandant comment les garçons ont bien pu s'en tirer. J'ai surtout une petite pensée pour Mitsuya, ainsi que pour le sourire qu'il m'a fait. 

Je n'essaie même pas de m'endormir à mon tour, me sentant bien trop en forme. J'ignore combien de temps je reste étendue sans bouger, sûrement une heure, voire peut-être deux. La soif ayant finalement raison de moi, je quitte la chambre sur la pointe des pieds pour aller dans la cuisine. Arrivée au bas des marches, je saute celle qui a craqué sous le pied d'Ayame.

La maison étant vide et calme, je suppose que les garçons sont ressortis ou partis se coucher également. Soulagée de ne pas croiser qui que ce soit, je prends un verre pour le remplir d'eau. Mais au même instant, une voix brise le silence et fait repartir mon cœur à une vitesse folle.

- C'est toi, Suzuki ?