9 novembre - 1

5 3 0
                                    

- Gabriel -

« 12 h 00.

Ce midi avait débuté par un fracas, venant d'une assiette posée en équilibre sur le buffet que ta mère avait brisée en rentrant dans l'appartement. Elle avait l'air très agitée. Je m'étais précipité pour l'aider et, pendant que je ramassais les morceaux, elle avait passé un coup de fil. Je n'avais rien compris à ce qu'elle disait tant elle parlait vite.

Seulement que c'était urgent. »


« 12 h 10.

Tu avais atteint l'appartement avant ton père, qui n'avait pas tardé non plus. Ta mère et lui tournaient en rond, attendant visiblement l'arrivée d'Erna.

« Elle ne devrait pas tarder » répétait ta mère nerveusement en rongeant ses ongles.

Tous deux tournaient en rond à la manière d'oiseaux de proie, prêts à fondre sur un pauvre rongeur qui ferait tranquillement sa vie. Je m'étais dit, à ce moment précis, qu'il valait sans doute mieux pour moi ne jamais me les mettre à dos, ou en tous cas ne jamais devenir un rongeur. »


« 12 h 15.

Lorsque ta cousine avait franchi le palier, elle avait tout de suite saisi que quelque chose n'allait pas et s'était empressée de déposer ses affaires dans l'entrée pour rejoindre tes parents.

- Aimé, Gabriel, allez dans votre chambre, avait ordonné ta mère.

- Non !

Elle ne semblait pas d'humeur à lutter contre toi, et était retournée près du colonel Thomas.

- Erna, avait commencé ton père avec une autorité qui, d'après tes dires, était devenue un trait de caractère au fur et à mesure que les années étaient passées. Viens t'asseoir.

Elle avait obéi, hésitante, mais seulement après nous avoir jeté un regard suspicieux. J'avais tenté de la rassurer : nous n'y étions pour rien et je n'avais aucune idée de ce qu'ils lui voulaient. Mon air réconfortant s'était effacé aussitôt après avoir compris que c'était toi qu'elle regardait.

- Oui ?

- Ta tante t'a vue à la caserne. Tu étais au bras d'un jeune de ton âge. Tu vas me dire de qui il s'agit, et sans me mentir, ou je te renvoie chez toi.

Elle avait semblé hésiter puisqu'elle remuait sur sa chaise comme un petit vers dans une pomme. A l'étroit.

- Je l'ai rencontré dans le train, en venant ici, nous avons parlé. C'est un ami.

- Ah ? Pourtant, il portait un uniforme qui n'avait rien d'un cheminot.

- Il n'est pas cheminot. C'est un militaire.

- Un militaire allemand ?

Elle avait plissé légèrement les yeux mais acquiescé.

- Oui. Franco-allemand. Sa mère est française.

L'homme avait balayé cette précision d'un revers de main.

- Quelle est votre relation ?

- Nous sommes amis.

La table avait tremblé lorsque le militaire s'était levé, le regard jetant des éclairs. Celui de la jeune femme, tremblant, restait rivé sur la table.

- Erna ! Ne me mens pas. Tu sais aussi bien que tous les habitants de cet appartement que deux jeunes qui s'enlacent ne sont pas amis ! Est-ce que c'est si compliqué de dire la vérité ? Est-ce que je dois te torturer pour l'entendre, ou même là tu ne parleras pas ?

AiléOù les histoires vivent. Découvrez maintenant