6 novembre - 2

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- Aimé -

« 09 h 35.

Je ne te connaissais pas mais sentais déjà en toi une grande fierté, chose qui détenait le potentiel de m'énerver davantage que ta simple apparence physique, négligée. Tu ne faisais pas partie du genre de garçons que je fréquentais. Les ouvriers, je ne les approchais pas.

Mes parents me l'avaient en tous cas toujours fortement déconseillé. Par la suite, dès que leurs barrières s'étaient abaissées, ne serait-ce que pour un instant, tu avais su t'introduire dans la brèche et conquérir le cœur de la plupart d'entre nous – à tes dépens, peut-être, j'avoue que je n'en ai pas la moindre idée. J'avais désobéi à mon père comme à ma mère mais aucun des deux ne l'avait remarqué.

Mais, sans savoir cela la première fois que mon regard avait croisé le tien, je m'étais abstenu de tout commentaire et n'aurais pu envisager, même dans le plus fou des mondes, ce qui allait succéder à cette rencontre fortuite et tout ce qu'elle allait provoquer. »


- Gabriel -

« 09 h 36.

Le hall de l'immeuble était très propre, la rambarde semblait mieux vernie que lorsqu'il faisait encore nuit et le blanc des murs plus vif. J'avais cru qu'il s'agissait d'un défaut de ma vision, la veille. Seulement éclairé par la lumière défaillante de mon téléphone et fatigué comme je l'étais, ça ne m'aurait pas surpris. Cependant, les trous au sol ne pouvaient pas disparaître, eux.

J'étais absolument convaincu de deux choses. La première était de m'être endormi sans pantalon – peu distingué, certes, et peu approprié vu les personnes qui logeaient dans l'immeuble en question -, celui-ci séchant sur la rambarde avec mon tee-shirt. La deuxième était de m'être pitoyablement étalé par terre, et ce à cause d'un stupide carreau brisé.

Pourtant, ce matin, j'étais habillé de la tête aux pieds et mes vêtements – secs – ne portaient en rien des traces de boue de la veille. A supposer qu'une personne maniaque - et un brin spéciale - m'ait rhabillé, je doutais fortement que cette même personne n'ait des talents de carreleur. Effectivement, tout ce qui était posé contre le sol demeurait comme neuf.

- Tu viens avec moi ? m'avais-tu demandé, m'extrayant de mes pensées. Je vais me promener.

Sans aucune raison, cette phrase m'avais conforté dans l'idée que tu étais, effectivement, le fils d'un bourgeois. Peut-être essayais-je d'arranger la situation à ma guise pour satisfaire mon orgueil ou afin de profiter de toutes ces bizarreries en chaîne. Hors, dans mon imagination, si tu avais beaucoup d'argent, moi, j'en manquais.

Lorsque j'étais en classe de seconde, j'avais essayé la séduction comme moyen de me procurer de l'argent, mais l'amitié était toujours restée hors de mon imagination. Sans doute d'ailleurs parce que l'occasion ne s'était jamais présentée. Rare étaient ceux qui voulaient de moi dans leur entourage, et je ne pouvais que leur donner raison.

Je t'avais accordé un sourire que je voulais chaleureux et t'avais répondu :

- Ah, sérieux ? Bonne idée, je viens.

Tu m'avais tendu ta main dont je m'étais emparée pour me relever. Le médaillon pendait autour de mon cou, mais, pour faire profil bas, j'avais décidé de ne pas y toucher. J'espérais que tu le confondrais avec un médaillon religieux. »


- Aimé -

« 09 h 40.

La neige, depuis que j'étais rentré du lycée, n'avait pas cessé. De gros flocons quittaient les nuages pour venir s'écraser sur les tuiles des maisons, les toits des voitures et dans tes cheveux bouclés qui semblaient les retenir. Tes yeux oscillaient entre les bâtiments et moi, comme si cette couche blanche qui venait défigurer le paysage t'empêchait de le reconnaître.

AiléOù les histoires vivent. Découvrez maintenant