16 novembre

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- Aimé -

« 14 h 20.

La pluie tapait contre le carreau de la fenêtre. Allongé sur le tapis rouge rendu rugueux par l'usure, un livre ouvert posé contre mon ventre, j'étais – encore – plongé dans mes songes.

Trois jours étaient passés depuis notre arrivée. Tu passais tes journées dehors. Non pas que tu cherchais à m'éviter, tu t'étais surtout lié d'amitié avec la fille du fermier, notre voisin, Alice. Tu la voyais tout le temps et me laissais à la maison, seul.

Je doutais que ton envie de la voir venait simplement d'une amitié sans faille. J'étais ton ami. Elle, c'était une fille. Peut-être que tu étais amoureux ?

Je m'étais posé ces questions un nombre incalculable de fois, mais, à chaque fois, je concluais la même chose : tu n'étais pas amoureux. C'était impossible, tout simplement parce que si tu l'étais tu m'en aurais parlé. J'en étais sûr, bien que je ne détenais aucune preuve concrète.

Ma confiance en toi pouvait paraître stupide puisque tu te moquais régulièrement de moi, de plus en plus souvent, répétant que, à ce rythme-là, j'allais me transformer en légume. Peut-être qu'il y avait du vrai. Peut-être pas.

Il n'empêchait que j'étais décidé à te faire changer d'avis. Nous étions amis – même toi me l'avais accordé -, et, bien que nos centres d'intérêt différaient de plus en plus avec le temps, je m'estimais légitime de savoir ce qu'il y avait entre cette fille et toi.

J'avais donc quitté la maison. »


« 14 h 40.

Ses cheveux tombaient sur ses épaules à la manière de la lave d'un volcan (rouge, vive, mais dont on a pas la moindre envie de s'approcher) et son visage aurait presque pu être beau si ses yeux avaient regardé dans la même direction.

Tu l'avais embrassée presque aussitôt. Je n'avais pas eu besoin de ça pour comprendre que la ferme ne t'intéressait pas le moins du monde. Je le savais presque depuis le début.

Tu profitais de notre situation. Nous revenions, pensé-je, à ce « Carpe Diem » dont tu me parlais en permanence et qui semblait dicter ton comportement. Ça avait le don de m'agacer profondément. Comment pouvais-tu laisser deux mots guider tes actes ?

Peut-être était-ce aussi l'origine de ta fierté sans limites.

J'avais reporté mon attention sur toi et sur elle. Vous vous faisiez face. Vous étiez proches. Très proches. Tu avais posé ta main dans le creux de son dos pour l'attirer à toi et j'avais détourné le regard douloureusement.

J'étais encore seul, moi, loin de tout type d'expérience de ce genre. Allais-je le rester longtemps ?

Tracassé, déprimé, j'avais regagné la maison à pied sous la pluie et l'orage. »


- Gabriel -

« 23 h 15.

Tu devenais mollasson et ennuyant. Je préférais la compagnie d'Alice, de cette fille originale, drôle, avec laquelle je n'étais jamais au bout de mes surprises. Et ce à tous points de vue.

Je n'avais pas voulu t'affoler en t'annonçant que j'avais des sentiments pour elle, mais j'avais vite senti que tu le savais. Tu étais moins naïf que ce que je voulais croire. Alors j'avais profité de ton exceptionnel éveil, tard, pour t'en parler.

- Je crois que je l'aime.

- Dis pas n'importe quoi.

- Je te dis que je l'aime.

- Tu mens.

Tu me contredisais. Ça m'agaçait. Je détestais avoir tort, sentir que mes réflexions étaient limitées, moins poussées que les tiennes. Je demeurais convaincu que je détenais quelque chose d'autre que de l'intelligence, qui me conférait d'autres droits, et pourtant, je me vexais très vite lorsque je me sentais inférieur. A croire que mon ego s'affolait.

- Ah ouais ? T'appelles ça comment, toi alors ?

- Du désir. Des hormones.

- Arrête de te foutre de ma gueule.

Silence.

J'étais décidé. Tu devais comprendre. Tu devais approuver. Quelque part, je savais que si tu ne le faisais pas, je n'arriverais pas à me sentir légitime. C'était ridicule.

- Je vais l'épouser. On aura quatre enfants.

- T'as 15 ans et c'est la guerre.

- Ouais, mais après. Après la guerre.

- Après la guerre, tu seras mort.

- Comment ça ?

- Cette guerre, elle va jamais finir.

- Dis pas n'importe quoi. »

AiléOù les histoires vivent. Découvrez maintenant