8 novembre - 3

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- Aimé -

« 15 h 00.

Un des policiers nous avait conduits à travers le bâtiment, jusqu'à une cellule où tu te trouvais. Après qu'il avait ouvert une petite trappe fixée sur la lourde porte qui te séparait de l'extérieur, je t'avais enfin vu.

Tu étais allongé sur un lit qui ressemblait à un lit de camp. Tes bras, inanimés, pendaient des deux côtés. Ta poitrine se soulevait doucement, et je m'étais senti légèrement soulagé. Tu ne semblais pas avoir subi la moindre torture.

- Il a dit qu'il était votre neveu, Gabriel Thomas. Est-ce que vous confirmez ?

Mon inquiétude atteignant son paroxysme, je n'avais pu m'empêcher de supplier mon père du regard, peu m'importait si le policier s'en apercevait.

- Oui.

Le mot avait franchi ses lèvres, simple, mais d'une netteté qui ne laissait place à aucun doute. Je m'étais senti libéré d'un poids, mais tu n'étais pas tiré d'affaires pour autant.

- Je vous amènerai ses papiers demain, il me semble que je les ai oubliés chez ma mère.

- Fâcheux, lors une période comme celle que nous traversons.

- Effectivement.

Les deux hommes avaient le regard plongé l'un dans celui de l'autre. La tension était palpable.

L'autre s'était finalement détourné pour annoncer :

- Retrouvé en état d'ébriété sur la voie publique et en possession d'un tract communiste ainsi que d'un paquet de cigarettes d'origine encore indéterminée. Pourriez-vous nous fournir quelques explications ?

Mon père avait soudainement pâli sans baisser les yeux pour autant. Il ne l'avait jamais fait, et encore moins devant un policier – même français. Les actions de certains de ces hommes nous donnaient toutes les raisons d'être fiers des nôtres.

- Non, j'en serais incapable. Il est mon neveu. Comme vous le savez, ma sœur est morte il y a des années de cela, mais ce n'est que très récemment que j'ai obtenu la garde de son fils. Il est assez dissipé, c'est pourquoi je ne me suis pas inquiété de sa disparition, et encore moins en début d'après-midi.

Le vichyste avait laissé échappé un rire moqueur qui m'avait profondément agacé. Je n'aimais pas les policiers alors il ferait mieux d'éviter de me donner du plomb car celui-ci risquerait de finir entre ses deux yeux.

- Il est vrai que nous n'avons pas l'habitude de retrouver des jeunes de cet âge-là saouls à peine le déjeuner terminé.

- Il ne s'est jamais remis de ce drame familial.

Après un très long soupir, l'homme s'était écarté pour ouvrir la porte et te laisser sortir. Presque gentiment, il t'avait tapoté la tête et soutenu légèrement pour éviter que tu ne t'effondres.

- On se rend coupable des crimes auxquels on assiste sans les dénoncer, récita t-il en conservant son sourire. Peut-être que je me rends responsable d'un crime, alors faites en sorte que cela n'arrive pas.

Si j'avais haï la plupart des policiers français que j'avais rencontrés, celui-ci me semblait aimable, presque amical. Peut-être que cela venait de son jeune âge, mais il t'avait laissé sortir sans réclamer la moindre pièce d'identité ou la moindre information supplémentaire. Très étrange. J'étais à deux doigts de me demander s'il n'appartenait pas à un réseau de résistance, me rappelant que des informateurs étaient dispersés partout.

Mais là n'étais pas vraiment le problème. Tu avais une mine abominable et tu puais l'alcool. Mais qu'est-ce que tu avais fait ?

Te voyant marcher à peine droit, ton regard vide et hagard se posant sur les policiers sans aucune expression particulière, j'avais ressenti de la pitié, assortie d'un autre sentiment que jamais je n'aurais cru avoir à ton égard. La colère que j'avais ressentie une heure plus tôt s'était métamorphosée en dégoût. Un dégoût profond. »

AiléOù les histoires vivent. Découvrez maintenant