8 novembre - 2

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- Aimé -

« 12 h 36.

Te voyant trembler de froid dans ton simple maillot de corps malgré le poêle, mis en route, je t'avais proposé :

- J'ai des pulls, si tu veux. Tu connais ma chambre, c'est l'armoire qui est à ta droite quand tu rentres.

- Merci, Aimé, avais-tu fait, reconnaissant.

Tu t'étais ensuite éloigné et j'avais continué à mettre la table dans un grand silence. Alors que je déposais un couteau contre l'assiette de mon père, celui-ci était intervenu, une certaine inquiétude dans la voix :

- L'armoire. Elle est vide ?

Mes yeux s'étaient écarquillés aussitôt.

Merde.

Je m'étais précipité hors de la cuisine, avais couru dans le couloir avant de me heurter à la porte pour l'ouvrir et la faire cogner bruyamment contre le mur.

C'était déjà trop tard.

L'arme dans les mains, tu me considérais d'un drôle d'air, presque craintif. Ton regard, braqué sur moi, trahissait ton sentiment de trahison.

Peut-être pensais-tu que je t'avais menti mais moi, je demeurais convaincu qu'il ne s'agissait pas d'un mensonge.

Je m'étais approché doucement de toi, les mains en avant comme pour te retenir de tirer. Tu n'en avais pas la moindre volonté.

Mon père était arrivé juste après. Son visage demeurait impassible, imperturbable. Comme toujours. Il avait pris tes épaules et t'avait forcé à t'asseoir sur mon lit avant d'en faire de même, sur la chaise de mon bureau.

- Gabriel, avait-il commencé. Je suis un militaire. Ce métier nous expose, moi mais aussi ma famille, à des dangers...

- Je suis pas débile. Personne de censé ne donne d'arme à ses enfants, et encore moins à ranger dans l'armoire d'une chambre, cachée entre deux pantalons. A quel type d'action est-ce que vous participez ?

- Nous résistons.

Deux mots prononcés simplement mais qui décrivaient l'étendue de ce que nous faisions. Mon père n'avait eu aucune hésitation. Ce n'était pas dans ses habitudes d'exprimer le moindre doute, ce qui constituait aussi sa force.

N'importe qui, à ma place, l'aurait insulté. Il était complètement inconscient ! Nous ne te connaissions pas ! Comment pouvait-il placer sa confiance en toi, comme ça, sans hésiter ? Tu détenais un moyen de nous faire chanter, pire que n'importe quel autre ! Peut-être te testait-il ?

J'espérais qu'il avait raison et, en même temps, j'étais hors de moi. Deux ans ! J'avais attendu deux ans avant de distribuer mes premiers tracts. Mon père avait-il eu peur de me perdre ou peur d'un travail mal fait ?

Je ressentais une vive jalousie à ton égard. Pourquoi toi, tu pouvais en prendre connaissance après si peu de temps parmi nous ? Je pensais qu'il s'agissait d'un secret entre mon père et moi, et voilà que tu venais te rajouter. Tu gâchais tout.

Comment pouvait-il être sûr que tu n'étais pas un espion allemand ?Comment s'assurer que tu n'allais pas, dès le lendemain, nous dénoncer ?

Si sa réaction face à toi tenant l'arme n'avait pas été celle escomptée, la tienne non plus. Tu avais hoché la tête comme si tout ça paraissait évident.

- Je vois. Est-ce qu'ils savent ?

- Comment ?

- Erna, Jules, France, Jeanne. Est-ce que vous leur en avez parlé ?

AiléOù les histoires vivent. Découvrez maintenant