10 novembre

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- Aimé -

« 07 h 20.

Je n'arrivais pas à quitter l'appartement. A ce stade, j'allais arriver en retard. Déjà que j'avais fait mes devoirs à la va-vite, je ne pouvais pas me le permettre.

Décidant de régler mes problèmes tout de suite, j'allais aussi régler ceux des autres. Je m'étais donc dirigé dans le bureau de mon père, qu'il occupait. Il n'était pas encore parti.

Je m'étais avancé et, après une grande inspiration, d'une voix tremblante, avais annoncé :

- La mère de Gabriel a avorté, et ça s'est très bien passé, tu sais.

- ...

- Je pense qu'on a tendance à diaboliser l'avortement, alors que ça devrait être considéré comme normal. Regarde, Lénine l'a autorisé depuis 1920.

Silence. Lourd silence. J'avais peur d'être allé trop loin.

- Est-ce que tu es une femme ? avait lentement questionné mon père. Est-ce que tu es soviétique ? Tu es un garçon français. Tu ne devrais pas te préoccuper de ce genre de problème. C'est pour les adultes.

Je détestais qu'il me traite comme un gamin. Moi aussi, j'aidais la Résistance ! Moi aussi, je distribuais des tracts ! Et puis, les italiens qu'on recueillait, ils dormaient toujours dans ma chambre !

J'avais seize ans, étais majeur dans cinq. Je ne considérais pas normal que l'on me sous-estime à ce point-là. Cependant, quelque chose d'autre m'inquiétait, maintenant que j'avais ouvert ma grande bouche :

- Est-ce que tu vas chasser Gabriel ?

Après un temps qui m'avait paru interminable, il m'avait répondu et conclu :

- Les enfants n'ont pas à payer pour les fautes de leurs parents. Seulement, si Gabriel a une mauvaise influence sur toi, c'est dans mon rôle de père de l'éloigner. »


« 07 h 30.

J'étais parti beaucoup trop tard, et pourtant, si j'avais le cœur gros, ce n'était pas la faute des horaires. Mon père m'avait complètement ignoré lorsque je lui avais dit au revoir, et la situation s'était reproduite avec toi. Tu avais gardé ta tête dans ton livre sans même lever les yeux vers moi. Alors que tu m'entendais.

Je n'avais d'abord pas compris pourquoi tu m'en voulais, avant de réaliser quelque chose de crucial : à travers le mur, tu avais entendu toute la conversation. »


- Gabriel -

« 08 h 00.

J'espérais du plus profond de mon cœur que tu allais arriver en retard.

Comment avais-tu osé raconter cet épisode de ma vie à ton père ? C'était censé rester secret. J'avais douté du bien-fondé de la confiance que je te portais, voilà que toi-même confirmais mes craintes.

Pourquoi ?

Avais-tu voulu te racheter aux yeux de ton père ? Avais-tu simplement cherché à te débarrasser de moi, après la distribution de tracts qui t'avait tant agacé ?

Une nouvelle fois, je ne savais pas, ne comprenais pas vraiment. Tout s'embrouillait. Simplement, je savais désormais que tu n'étais pas une personne de confiance. Je ne devais plus t'adresser la parole, ou le faire pour parler de la pluie et du beau temps.

La méfiance avait pris le pas. »


« 13 h 00.

AiléOù les histoires vivent. Découvrez maintenant