18 décembre

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- Gabriel -

« 08 h 00.

Nous étions toujours au chalet, sans aucune nouvelle de toi. Je ne pouvais utiliser que ma main gauche, ma main droite étant entièrement bandée pour soigner mes phalanges. Markus nous avait rejoints. Apparemment, il avait obtenu une permission, ce qui m'étonnait drôlement, en pleine guerre, avec en plus les défaites qui s'enchaînaient pour les allemands. Je demeurais convaincu qu'il avait déserté pour rejoindre la Résistance, à moins que je ne prenne mes désirs pour des réalités.

Il n'empêchait que ton père et lui semblaient bien plus proches.

Le colonel m'avait dit, non sans une certaine tristesse, que tu allais sans aucun doute bientôt mourir, si ce n'était pas chose faite. Je n'avais rien répondu.

Mes émotions avaient alterné si violemment que moi-même ne savais pas où j'en étais de mon deuil.

Je t'en voulais d'être parti, de m'avoir abandonné, mais j'avais aussi une quantité impressionnante de choses à me reprocher. J'avais été bête, j'étais resté trop longtemps, jamais je n'aurais dû me lier d'amitié avec quelqu'un comme toi.

Tout autant de reproches qui n'aidaient pas les plaies à cicatriser.

Je refusais d'y croire. Ton corps, qui si souvent m'avait agacé, ne pouvait pas cesser de bouger. Ton cerveau, qui si souvent m'avait vexé, ne pouvait pas cesser de penser.

Ton départ m'avait affecté. Ravagé, pour être honnête.

Je ne mangeais plus – pas faim -, ne faisais pas ma toilette – pas envie -, ne fermais plus l'œil de la nuit – trop de cauchemars – et ne tenais pas debout le jour – trop fatigué. Je n'étais plus qu'une épave, comme avait si gentiment fait remarquer Markus. Il avait raison.

J'étais minable.

Un minable errant sans but dans un monde dont je n'avais plus rien à foutre. De toute façon, vous alliez la gagner, cette putain de guerre. Qu'est-ce qu'elle changeait, ma présence ?

Je ne voyais plus personne, ne parlais plus, ne bougeais plus. La seule chose que j'aimais, c'était fumer. Clope par clope. Paquet par paquet. Ça me rappelait mon père. Pas envie d'en parler. Pas envie d'y penser.

Il me semblait si loin... Suffisamment pour espérer qu'il soit mort. De toute façon, je ne le saurais pas avant de rentrer chez moi – je n'arrivais plus à me situer : présent ou futur ? -, mais quelle importance ?

Je pensais de plus en plus à faire marche arrière, à retrouver mon époque, mais je ne savais pas vraiment. Etais-je prêt à tout laisser ? Markus, ton père, ta cousine et ton frère, ta sœur et ta mère, dont je n'avais pas de nouvelles ?

Une seule chose m'apparaissait claire dans cette léthargie dans laquelle j'étais plongé : je ne comptais pas renter tant que je n'étais pas certain de ta mort.

J'aurais pu arrêter d'écrire ce cahier. Ça ne servait à rien, de toute façon, de m'acharner sur un travail que tu ne retrouveras peut-être jamais. Mais j'y avais pris goût, et je n'arrivais plus à m'en détacher. Même lorsque la mort semblait proche, je devais conserver les bonnes habitudes. Peut-être m'empêcheraient-elles de sombrer dans la folie. »


- Aimé -

« 10 h 00.

J'avais perdu des kilos. Je ne parlais plus. Une honte irrésistible me poussait à me taire.

Si chez moi j'avais une place, ici je n'étais plus grand-chose. Les familles restaient ensemble et j'étais quant à moi seul, mis à part. Des mères m'avaient posé quelques questions, parfois, mais je n'avais pas répondu. Je n'arrivais pas à parler, comme si cela ferait éclater tous les sanglots que j'avais retenus. Je crois qu'elle l'avaient remarqué et que, pour cette raison, elles n'avaient pas insisté.

AiléOù les histoires vivent. Découvrez maintenant