12 novembre

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- Aimé -

« 05 h 15.

Nous avions été réveillés par un grand coup de pied dans la porte, suivi de martèlements.

J'avais été pris d'une panique soudaine.

Les allemands étaient-ils venus nous chercher ? Nous avaient-ils oubliés, hier, et suivis pour emmener notre famille avec nous ?

Tu t'étais réveillé, toi aussi, et je voyais une certaine crainte même dans tes yeux. Autant dire que je n'avais pas fière allure.

Heureusement, mon père avait quitté son lit, et, à mon plus grand dam, ouvert la porte d'entrée dans un cliquetis métallique. Mais, lorsque l'origine de tout ce tintamarre avait pénétré dans l'appartement, je n'avais entendu aucun cri, aucun « schnell » ni d'autre mot en allemand.

Seulement des chuchotements. »


- Gabriel -

« 05 h 20.

Muscles tendus, j'étais prêt à bondir.

Peu m'importait s'il s'agissait d'un SS ou d'un livreur de pizzas, personne n'avait le droit de me réveiller en pleine nuit et encore moins à coups de pied dans la porte d'entrée.

Tu semblais totalement tétanisé, si bien que j'avais tenté de te rassurer par un sourire. Je ne savais pas du tout si ça avait fonctionné ou non mais tes mains avaient cessé de trembler. C'était déjà un bon début, vu de là d'où tu partais.

Ne pouvant plus attendre, je m'étais levé et étais sorti dans le couloir. Je crois que tu étais à deux doigts de faire un infarctus, mais tu t'étais abstenu de tout commentaire.

Markus faisait face à ton père. Il n'avait pas quitté son uniforme de la veille. Le colonel le considérait avec sérieux, écoutant ses paroles avec une gravité qui ne présageait rien de bon pour la suite. Tant les deux hommes étaient concentrés, aucun ne semblait m'avoir aperçu, si bien que j'avais intercepté quelques paroles :

- Je ne sais pas si vous avez un plan de repli, mais vous devriez... Situation dangereuse... Votre famille et vous...

J'avais saisi l'essentiel de la conversation : nous courrions un danger important et Markus conseillait vivement à ton père de fuir.

Mensonge ? Réalité ? Difficile de faire la part des choses – n'oublions pas qu'il s'agissait d'un soldat allemand.

Pourtant, lorsque l'alsacien avait quitté l'appartement, ton père n'avait pas hésité une seconde.

- Les enfants, faites vos bagages. On part. »


« 15 h 30.

Ce que ton père n'avait pas précisé, c'était que nous n'allions pas tous au même endroit, sans doute pour mieux brouiller les pistes. Nous avions insisté pour rester ensemble, et il n'avait rien trouvé à objecter. Tant mieux. Cette époque m'apparaissait suffisamment cruelle comme ça.

Après avoir déposé ton frère, ta sœur et ta mère, ton père était venu nous chercher ainsi qu'Erna. Personne ne savait ce qu'était devenu Markus mais il était sans doute rentré à la caserne comme si de rien n'était, en pleine nuit. J'ai oublié de noter qu'il avait conservé son uniforme de soldat en venant à ton appartement.

Son exemple m'avait clairement montré qu'écouter aux portes – puisque c'était ce qu'il avait fait, je suppose - pouvait parfois sauver des vies. Il avait été indiscret et c'était tout à son honneur.

Nous ne savions pas non plus ce que comptait faire ton père après nous avoir déposés. Il était resté évasif, mais je t'avais entendu prononcer le mot « maquis ». Alors, allait-il rejoindre la résistance officiellement, perdant son poste dans l'armée et son prestige ?

Nous allions, je le savais déjà, passer la nuit dans la voiture. Les contrôles allemands étaient nombreux mais il suffisait que ton père brandisse un papier – je n'avais aucune idée de quoi il s'agissait - et nous passions sans même avoir à sortir nos valises du coffre. S'il pouvait, avec la Résistance, fabriquer de faux papiers, il ne devait, supposais-je, avoir aucune difficulté à obtenir de quoi franchir les barrages. »

AiléOù les histoires vivent. Découvrez maintenant