Chapitre 3 : Ça pue la rentrée

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Hey girls
Hey boys
Superstar DJ's
Here we go !

lundi 4 septembre

Nous sommes en voyage scolaire. Je me suis réfugiée à l'arrière du car. Je suis plongée dans la lecture du Lanceur de mots. Un crachat éclate sur la page. Je lève le nez de mon livre : la bouche en cul de poule, Quentin achève posément son long glaviot et relève le menton ; sa tête sinistre de petit branleur s'éclaire d'un sourire dégueulasse.

À côté de lui, sa petite amie Lily. Elle porte un tee-shirt blanc trop étroit où est imprimée une énorme colombe. Ses seins tendent le coton. Le bruit court qu'ils sont remodelés par des soutien-gorge push up mais cela m'est égal. Sa bouche jette des rayons de soleil tellement elle l'a enduite de gloss. Mes yeux me font mal. Lily m'a toujours détestée.

Quentin continue de sourire. Il a de petits poignards à la place des dents. Il prend sa respiration et me les crache dessus. Une lame se plante droit dans mon cœur. Je vomis du sang, le tee-shirt de Lily se trouve pailleté de points rouges.

Je me suis réveillée en sueur. Depuis quelques jours, je multiplie les cauchemars. Comme d'habitude, j'ai porté la main à mon cœur. Boum, boum. Les battements se sont calmés peu à peu.

Une chaleur désagréable régnait déjà dans le grenier. J'ai regardé par le vasistas. C'est mon premier geste de la matinée : vérifier que le clochard assis en face de notre bicoque se trouve toujours là. Et il se trouvait là, sur son banc habituel.

Le bruit courait que Quentin s'en était pris à lui. Assisté par Adrian et quelques gros bras du tierquar, il l'avait jeté à terre. Ils avaient fait pleuvoir des coups de pieds sur le pauvre vieux. À bout de souffle, ils n'avaient trouvé sous leurs semelles qu'un cache-poussière miteux et plus personne à l'intérieur. Ils en avaient conçu une telle frayeur qu'ils avaient mis le feu au manteau et s'étaient juré de plus jamais revenir.

Le clochard avait réapparu le lendemain, revêtu de son pardeusse habituel.

Je me suis demandé dans quelle classe je serais cette année.

Il y a quatre 1re: la 1re Rosa Parks, la 1re Anne Frank, la 1re Gisèle Halimi et la 1re Francky Vincent.

Ici, on donne des noms de célébrités aux classes, trop stylé !

Je sais pas ce que Francky Vincent est venu faire là. Un hommage à la Guadeloupe, je pense. Parce que je doute que ce soit pour ses chansons !

Quand j'ai regardé par la fenêtre de ma chambre, j'ai vu que TOUT PUAIT LA RENTRÉE : les oiseaux, les réverbères, le soleil lui-même PUAIT LA RENTRÉE. Il brillait, bien sûr. Il brillait même très fort, mais on eût dit qu'on lui avait craché dessus. Un énorme crachat qui en aurait sali la lumière pour toujours.

Une héroïne normale se serait réjouie qu'il y ait du soleil mais je préfère l'hiver et la pluie.

Une héroïne normale se serait réjouie à l'idée de pouvoir mettre un crop top mais j'ai pas de crop top. Je porte des vêtements informes pour éviter de donner prise aux remarques bestiales de certains.

J'ai bu mon jus d'orange matinal fait d'oranges du Venezuela, de kiwis et d'amandes grillées, touche d'originalité extrême. En réalité, j'ai bu un verre de lait. Personne ne boit jamais de jus d'orange mélangé à des kiwis et à des amandes grillées (d'ailleurs c'est certainement dégoûtant) : mais on lit ça dans tous les romans jeunesse.

J'ai jeté un œil par la fenêtre. Quelques nuages flottaient dans le ciel. Je me suis rappelé ces school romances où une fille un peu fragile et idéaliste tombe sous le charme ravageur d'un pignouf. Coiffure french crop, tee-shirt Lacoste et pantalon de survêt avec des traces suspectes sur l'entrejambe. À l'idée qu'elle va faire cette merveilleuse rencontre où elle sera traitée comme une serpillière, elle se jette sur la fenêtre et trouve que les nuages sont trop poétiques. Je les trouvais obscènes. J'anticipais les réflexions sexistes dont je n'allais pas tarder à être la victime.

Je ne devais pas me faire d'illusion. C'est seulement dans les school romances qu'on trouve des fleurs, des petits oiseaux et des Mercedes-AMG GT 53 4MATIC+. C'est seulement dans ce genre de livre que l'adolescente s'éprend d'un petit nouveau qui vient d'arriver au collège. Un éphèbe en marcel aux biceps discrètement travaillés à la fonte, — le fameux bad boy.

Il est temps que j'aille au bahut. On a frappé à la porte d'entrée. J'ai rougi jusqu'aux yeux. Serait-ce ?...


Le Quoicoubeh monumentalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant