Chapitre 18 : Cauchemars

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Pour autant, mon sommeil n'a pas été sans perturbations. Je me suis réveillée en sueur à plusieurs reprises, les cauchemars se sont enchaînés.

Lily me disait que j'étais trop moche et me faisait le geste de la tête coupée. Céladon me regardait de son air vicieux en disant Elle mouille, la salope. Quentin hurlait Quoicoubeeeeeh ! sur la place Tony Duvert (une place piétonne où sont concentrés la plupart des cafés de Souillanges). Sa bouche à l'haleine pestilentielle devenait gigantesque et il finissait par me broyer avec ses dents impeccables. Après m'avoir attrapée au lasso d'une de ses mèches laineuses, Yanis me forçait à fumer du buddha blue jusqu'à ce que je devienne accro tandis qu'une pluie de sang s'abattait sur moi. Sandra se voyait pousser des dizaines de bras et de jambes telle la déesse Kali et me serrait contre elle si fort que ma bouche s'écartelait dans un hurlement silencieux.

Chaque fois que je me réveillais, je me rendais compte qu'elle me serrait la taille en effet. Il fallait que je m'extraie de son étreinte en soulevant délicatement son bras poisseux de sueur. La chaleur était devenue intolérable, comme si un soleil noir avait fait irruption au cœur de la nuit pour nous carboniser avec ses rayons d'ébène. 

Au petit matin, j'ai été réveillée par ses doigts sur ma poitrine. Sa respiration régulière m'a persuadée que c'était involontaire et j'ai glissé hors du lit pour préparer le petit déjeuner. Je savais qu'il lui faudrait du temps pour s'apprêter et je préférais anticiper. J'ai fait chauffer du lait et j'ai préparé des tartines.

Troublée, je pensais encore à ce qu'elle m'avait dit sur sa pansexualité. 

Je me suis alors rappelé une discussion que j'avais eue avec Bruno l'intello. Je lui avais demandé comment il vivait son homosexualité.

— On ne peut mieux, il m'avait répondu en réajustant les pans de sa veste droite. Chuis un mec attiré par les mecs.

On s'était installé à une table du C.D.I. et il s'était penché vers moi :

— J'ai eu de la chance. J'ai imposé mon homosexualité à mon entourage. J'ai jamais eu honte, j'ai crié sur tous les toits mon attirance pour les mecs. O.K., on m'a traité d'enc... et de pédale. Mais j'ai très vite trouvé des amoureux. T'imagines pas à quel point les homos qui s'assument pas sont heureux de rencontrer un homo qui s'assume.

Je l'avais regardé avec admiration. Dans les grandes villes, proclamer son homosexualité n'est déjà pas évident. Mais à Souillanges... Où puisait-il cette force ?

— C'est quoi, ton genre ? il m'avait demandé.

Cette question m'avait interloquée.

— Oh là là, commence pas à m'embrouiller avec ça.

À Cyril Hanouna, la théorie du genre ne nous était pas totalement inconnue. Des éléments de langage commençaient à circuler. Les mecs s'en foutaient. Mais les Lolitas, notamment, les avaient adoptés.

—C'est pas difficile à comprendre, il m'avait dit. Y a le sexe assigné à la naissance, l'expression de genre et le genre.

Il s'était saisi d'une revue. Sur la couverture, une ado souriait de toutes ses dents.

— Cette fille, il m'avait dit, elle a un sexe assigné à la naissance.

— Elle est née fille.

— En effet. Elle a également une expression de genre.

— Cheveux longs, gloss à paillettes, elle s'affiche comme une fille.

— T'as sans doute raison. J'en viens à l'essentiel : elle a un genre.

— O.K., j'avais dit. C'est là que ça se complique.

Le Quoicoubeh monumentalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant