Chapitre 10 : Le B.G.

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Quand on est revenues, Clipo et Quentin étaient encore en grande conversation et la classe semblait se délecter de cette joute toute pourrie.

Clipo transpirait tellement qu'il y avait deux énormes auréoles sous ses aisselles. De guerre lasse, il a dit à Quentin :

— Rassieds-toi et on en parle plus.

Le fumier est allé se rasseoir. Avec le plus grand naturel, il a entamé une bruyante discussion avec son voisin Céladon.  Clipo a pas osé l'interrompre et bientôt la classe s'est mise à bruisser comme une ruche en pleine canicule. À moins de hurler, le prof était condamné à FERMER SA GUEULE. Et il l'a fermée en effet, muselé par la maestria bordelifère de Quentin et sa garde rapprochée.

À la place de la sonnerie habituelle, c'est le refrain de « Vas-y Francky c'est bon » qui a donné le signal du départ : 

Vas-y Francky, c'est bon...

Vas-y Francky, c'est bon bon bon...

Tout le monde s'est levé comme un seul homme. On s'est précipités vers la sortie sans prêter attention aux paroles de Clipo qui, dans une dernière tentative pour récupérer un peu de dignité, avait tenté de nous interpeller.

On est allés direct au réf. On était les premiers à se présenter et on est passés tout de suite.

— Accepterais-tu que je m'asseye à côté de toi , Jennifer? m'a priée le B.G.

— Je veux bien, je lui ai dit, mais tu vas avoir des problèmes.

— Pas si on se met tout là-bas, il a dit en me désignant une petite table isolée.

C'était pas une mauvaise idée : baptisé le coin des poucaves, cet endroit offrait aux pestiférés la possibilité de manger sans trop de risques d'être chassé ou de se faire renverser son plateau. 

Mais c'était à double tranchant : s'asseoir là pouvait également être interprété comme une marque de soutien aux balances.

Dans les school romances, un bad boy ne parle pas, il rote et se gratte l'entrejambe. Il s'intéresse pas aux intellos, il aime que les bimbos. Surprise par sa façon de s'exprimer et l'intérêt qu'il semblait me porter, j'ai examiné le B.G. de plus près.

Il n'était pas aussi grand que moi mais d'assez haute taille. Une coupe french crop bien dégueulasse lui durcissait le visage, avec les côtés et l'arrière complètement rasés. Et pourtant ! Force était de reconnaître la grande finesse de ses traits : une certaine fragilité se reflétait dans ses grands yeux bleus et il était pourvu d'une petite mâchoire. Il devait jouir d'une grande vigueur physique à en juger par ses avant-bras où saillaient discrètement des muscles secs.

Arantelle m'a interrompue dans ma contemplation. Sa cravate noire à motifs de rongeurs, sa chemise blanche immaculée et ses piercings à l'oreille la signalaient tout de suite comme une Lolita gothique. C'était la badass du groupe. L'année précédente, elle s'était battue avec Sana, la redoutable Lily girl, et avait failli avoir le dessus sur elle. Il était lourd de sens qu'elle se déplaçât pour venir me parler au vu et au su de tous.

— Maurine nous a dit que tu t'étais occupée d'elle. Prends ton plateau et viens te joindre à nous, on vient d'arriver.

Les Gothiques avaient toutes été réunies dans la 1re Anne Franck à l'exception de Maurine.

— Très aimable, je lui ai dit, mais il t'a pas échappé que j'étais accompagnée.

Elle a jeté un regard hostile au B.G. et a dit :

— Dans ce cas, seulement quelques minutes. S'il te plaît.

Arantelle n'était pas commode. Pour qu'elle dise s'il te plaît, il fallait vraiment que cela lui tînt à cœur.

— O.K.

J'ai fait signe au B.G. que je revenais et je me suis avancée vers la table des Lolitas gothiques. Elles m'avaient ajouté une chaise. Arantelle l'a tirée en arrière et m'a fait signe de m'installer.

Il y avait là Mélia, une fille de petite taille et aux bonnes joues rouges dont l'énorme tignasse d'ébène ébouriffée vous donnait envie de lui frotter vigoureusement la tête. Le bruit courait qu'elle était en couple avec Arantelle. L'alchimie entre elles était perceptible en effet. Il y avait aussi Maurine qui m'a souri timidement. Et bien sûr Opaline. Cheffe incontestée des Lolitas, elle était en tête de table et m'a lancé :

— Je voulais te remercier. Maurine va souffrir dans cette classe de merde et il est bon que tu gardes un œil sur elle.

— Le mieux serait encore qu'elle intègre une autre 1re, j'ai dit.

— La vie sco a refusé. Nous comptons sur toi pour la protéger.

— Je ferai mon possible.

Opaline m'a détaillée de la tête aux pieds comme si elle voulait me scanner ou lire dans mes pensées. Elle ne m'avait jamais caché qu'elle me trouvait intéressante physiquement. Elle avait un visage racé, très agréable à regarder. D'une élégance discrète, son carré bob lisse lui dégageait les oreilles, qu'elle avait mignonnes, mais détonnait avec son blouson criblé d'épingles à nourrice.

— T'es comme nous, elle a fini par lâcher. Tu dois nous rejoindre, c'est obligé.

— Flattée par ton offre mais je vais dans aucun groupe.

Un silence a plané quelque secondes sur la tablée. J'avais jeté un froid. Opaline s'est alors penchée vers moi et m'a murmuré d'une voix à peine audible :

— Tu tiens tant que ça à participer au Jeu de la défloration ?

— Personne peut s'y soustraire.

— Nous, si. Je te demande de garder ça pour toi, mais Lily m'a arrangé une entrevue secrète avec Quentin cet été.

— Avec ce porc ? T'es pas dégoûtée !

— Figure-toi qu'il m'a très bien reçue. Il m'a fait visiter son immense jardin, son père est venu me saluer, sa mère avait confectionné un gâteau pour l'occasion. Crois-moi ou non, mais nous sommes sur le point de passer un accord historique. Bientôt, les Gothiques seront intangibles.

— Intangibles ?

— Les mecs n'auront pas le droit de toucher à une seule mèche de nos cheveux. Regarde, il m'a également fait cadeau de cette bague.

Elle a tendu sa main et j'ai vu briller à son annulaire une tête de mort.

— Or véritable, elle a dit. J'ai fait vérifier.

— Cadeau empoisonné, j'ai dit en me levant.

Je les ai saluées et suis allée rejoindre le B.G. Cette conversation me perturbait. Quel intérêt Quentin avait-il d'épargner les Lolitas ? C'était incompréhensible.

On a commencé à manger. Le B.G. a eu le tact de pas me demander ce que me voulaient les Gothiques. C'est moi qui ai rompu le silence :

— Pourquoi tu cherches pas à sympathiser avec les autres gars de la classe ? Tu vas avoir des problèmes.

— Je me suis mis à côté de toi parce qu'on se connaît déjà, il m'a dit. Tu te souviens pas ?

— Comment ? j'ai demandé en écarquillant les yeux.

C'était comme si je venais de traverser un miroir et me retrouvais dans un nouveau monde, avec des repères totalement différents de ceux que je connaissais jusqu'alors... 




Le Quoicoubeh monumentalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant