Chapitre 24 : Affolement cardiaque

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J'ai sauté dans mes chaussures, je me suis engouffrée dans les escaliers, j'ai déboulé dans le salon où Lily et le B.G. se tenaient les bras ballants, l'air de pas savoir quoi se dire.

— J'Y VAIS ! je leur ai asséné en renouant ma queue de cheval. Merci pour ton accueil, Lily ! Mais je me rappelle que j'ai rendez-vous chez le véto. Pépère a encore des problèmes intestinaux.

— Attends ! m'a suppliée Lily. Reste encore un peu, y a Admirable qui va venir ! Je crois qu'elle s'intéresse beaucoup à toi !

Mais j'avais cessé de l'écouter. J'ai même pas dit au revoir à Sandra que j'ai pas vue réapparaître. Et dont je suppose qu'elle était restée à moitié alanguie sur le king size...

Le B.G. m'a rattrapée au moment où je débouchais place Tony Duvert.

C'est une place circulaire où se trouvent des cafés avec de grandes terrasses. Au centre, un jet d'eau avec une femme bien en chair à toute petite tête dans le genre des Nanas de Niki de Saint Phalle, — c'est complètement raté. Il est d'ailleurs question de la remplacer par une sculpture dorée reproduisant la Source de Jean-Auguste-Dominique Ingres, — ça m'étonne pas de la mairie dont les goûts de chiotte, m'a expliqué Bruno l'intello, nous valent les moqueries des réseaux sociaux.

Les immeubles épousent les contours de la place ; ils sont surmontés par des verrières dont les panneaux en arrondi m'ont toujours fait kiffer. Ce doit être le pied de crécher là et de laisser ses yeux vagabonder sur la place, avec les badauds qui vont et viennent, les enfants qui courent s'abreuver à la fontaine, les couples en terrasse, les adultes esseulés en expectative devant leur tasse de café qu'ils avalent à gorgées minuscules.

Je suis certaine que je parviendrai à écrire un roman si je dispose un jour d'un tel lieu de travail. Chez moi, je suis JAMAIS TRANQUILLE.

— Attends ! m'a crié le B.G. Je t'invite à prendre un café.

Pas question. Je me suis faufilée dans la rue Roger Peyrefitte, l'une des rares qui soient restées debout après le bombardement américain. Les immeubles ont de larges balcons à balustre, ce qui s'explique difficilement vu l'étroitesse de la chaussée et la pénombre qui règne tout au long de la journée.

Le B.G. m'a saisie par le bras.

— Lâche-moi, j'ai dit.

Je me suis mise à suffoquer. Mon palpitant s'est affolé comme le lundi de la rentrée, quand le B.G. m'avait emmenée à l'infirmerie.

Fort, fort.

Je me suis mise à genoux sur le trottoir et je me suis recroquevillée, les deux mains sur le cœur.

C'était comme s'il voulait s'extraire de ma cage thoracique. Il tapait sur le sol, au plafond, en haut, en bas. Un animal en cage. Encore un peu et il allait jaillir à l'air libre, en proie à de violents battements, tournant sur lui-même et lâchant de petites giclures de sang par ses artères coupées.

— Ouuuuh...

— Tout va bien, Jennifer, m'a dit le B.G. en me prenant dans ses bras.

J'ai ravalé mes larmes. Je ne voulais pas lui donner le plaisir de me voir chialer. Il m'a caressé les cheveux. Mon cœur cognait sans relâche, j'ai commencé à paniquer.

— J'ai mal... j'ai dit d'une voix criarde.

— Tout va bien. Tout est O.K., ne t'affole pas...

C'étaient des paroles idiotes mais il parlait avec un tel calme que je me suis remise à respirer.

Respire... je me suis dit. Respire, Jennif'... Et toi, continue à me caresser... N'arrête pas, s'il te plaît...

La tête a cessé de me tourner. J'ai attendu un temps indéfini.

Le Quoicoubeh monumentalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant