Fifi a cherché à me parler mais j'ai éludé la conversation gentiment. Grimpant les marches quatre à quatre, je me suis réfugiée dans mon repaire dont j'ai laissé la lumière éteinte.
Pépère a pas tardé à me rejoindre. Il a le chic pour renifler mon état émotionnel et manque jamais de me consoler quand je me sens mal. Recroquevillée sur mon lit, j'ai distingué ses grands yeux humides dans l'obscurité. Il est monté sur le lit, s'est allongé près de moi et a posé sa truffe humide sur mon épaule.
— Toi au moins tu me trahiras jamais mon Pépère, je lui ai dit.
C'est un chien très très âgé que j'ai tenu à adopter malgré les vives protestations de Papa. Il aurait dû échouer dans un refuge. Là-bas, on l'aurait certainement euthanasié : son dos déformé par l'arthrose laissait à penser qu'il n'en aurait plus pour longtemps. Mais ça faisait plusieurs années que je m'en occupais et il me témoignait une affection sans limite.
Dans des circonstances normales, son attachement m'aurait apaisée. Mais j'ai bientôt oublié sa présence.
La tête de Sandra s'est dessinée dans la pénombre.
C'était hallucinant, j'avais vraiment la sensation qu'elle était dans la pièce. Ses lèvres se sont rapprochées des miennes. J'ai secoué la tête.
Cette fois, c'est le B.G. qui m'est apparu. Lui dont les traits, d'ordinaire, sont absolument impassibles, il souriait de toutes ses dents. À croire qu'il se foutait de ma gueule.
— Ma Jennif' d'amour, m'a susurré Sandra.
— Je te jugerai jamais, a précisé le B.G.
Leurs têtes se sont confondues. Un visage androgyne m'est apparu dont la bouche a grandi, grandi jusqu'à se transformer en un vertigineux trou noir où se sont découpées les dents impeccables de Quentin.
J'ai hurlé.
Fifi est aussitôt accourue.
— Jennif', elle m'a dit.
— Un cauchemar, je me suis justifiée. J'ai rêvé que t'étais ma petite sœur.
On a rigolé.
Très différentes physiquement, nous nous entendons à merveille. Je donne l'impression d'être étirée comme du chewing-gum, on se demande si quelqu'un n'a pas cherché à la rapetisser à la naissance en lui assénant des coups de massue sur la tête. Nos parents sont de taille moyenne et je compte plus le nombre d'imbéciles qui m'ont demandé si Maman n'avait pas trompé Papa avec un géant avant de jeter son dévolu sur un nabot.
Avec sa petite taille, ses cheveux rares tirés en arrière, ses yeux furibonds et sa gueule de grand-mère écrasée derrière des lunettes fumées à énormes montures, Fifi a toutes les caractéristiques de la harcelée. Mais ses camarades lui obéissent au doigt et à l'œil et de nombreux garçons rêvent de sortir avec elle. Hormis Papa et moi, personne n'échappe à ses critiques acerbes. Alors qu'elle est à couteaux tirés avec Maman, elle me manifeste une constante sollicitude et me parle avec beaucoup de douceur.
Elle s'est accroupie à mon chevet.
— Je t'ai apporté un bouquin. Le Syndrome du spaghetti de Marie Vareille. Je l'ai terminé à l'instant, chuis sûre que tu vas kiffer.
Elle l'a posé sur l'énorme pile qui encombrait ma table de chevet.
Fifi me connaît par cœur. J'aime tellement les livres que je suis capable de tout pardonner à la personne qui m'en apporte un. Quand on se querelle, et c'est fréquent, elle m'apporte un roman. Un bon livre suffit à éteindre ma colère ou endiguer mon chagrin.
J'ai tenté de lui dire merci mais j'en ai pas eu la force. Le souffle a commencé à me manquer, la sueur me dégoulinait du front.
— J'appelle Maman.
Quand elles sont revenues à mon chevet, Pépère s'est aussitôt glissé sous le lit. Maman s'est accroupie et m'a passé la main sur le front.
La crinière abondante (j'adore ses cheveux), toujours une plaisanterie aux lèvres, elle a conservé la vivacité et la silhouette d'une jeune fille alors que Papa vieillit à vue d'œil depuis quelques années.
— Hmmm, elle a dit. C'est pas tant la fièvre qui m'inquiète que ce vacarme. Tu permets ?
Elle a mis la main sur ma poitrine, elle s'est concentrée et a froncé les sourcils.
Je me suis rendu compte que mon cœur tambourinait à tout rompre. À se demander si le grenier n'était pas devenu une immense cage thoracique et si je m'étais pas moi-même transformée en un cœur géant qui hurlait sa rage et sa souffrance en des martèlements frénétiques.
— Tachycardie, elle a dit. Il cogne dur, dis donc. Je vais prendre rendez-vous chez le médecin. Ça t'est déjà arrivé ?
— Quelquefois, j'ai avoué. Mais ça passe vite.
— T'as des étourdissements ? Des essoufflements ?
— Oui, j'ai dit.
— Seigneur, elle a gémi.
C'était pas dans ses habitudes de surjouer l'inquiétude et je me suis sentie coupable.
— Maman, je t'assure que chuis O.K. C'est juste l'émotion, il m'est arrivé des trucs pas sympas. Je vais dormir un peu avec Pépère et je serai d'attaque.
— Tu me diras ce qui te tracasse ?
— Des trucs d'ado, je lui ai dit.
« Tu me connais, j'ai ajouté avec un petit rire, un rien suffit à me mettre en émoi.
Elles se sont retirées mais Fifi n'a pas tardé à réapparaître :
— Sandra au téléphone. Je l'envoie promener ?
— Dis-lui de patienter, j'arrive.
Un vertige m'a saisie quand je me suis mise debout, j'ai vu des étoiles, j'ai même titubé mais j'ai eu la force de descendre l'escalier.
— Allô ?
— Jennif', pardonne-moi, je t'en supplie ! ai-je entendu à l'autre bout du fil.
— ...
— Je pourrais te dire que c'est Lily qu'a tout combiné. Mais j'ai ma part de responsabilité, wesh ! Pardonne-moi, chuis vraiment une grosse salope... Tu m'entends ?
— ...
— Merde, Jennif' ! Chuis complètement, totalement sorry. T'es ma gow, ma bestah. Tu me plais trop. Lily, c'est une grosse keh.
— ...
Elle s'est mise à pleurer.
— J'ai merdé. Je dirai à ton amoureux que c'est entièrement ma faute. Vous êtes super mignons tous les deux.
Il m'est venu à l'idée que je lui avais peut-être prêté des motivations qui n'étaient pas les siennes. Peut-être était-elle réellement amoureuse de moi. Peut-être avait-elle simplement obéi à une pulsion. Sandra, cela ne pouvait m'échapper, agissait beaucoup et réfléchissait peu. Sandra, Sandra...
— ...
Elle a hoqueté. Des sanglots se sont succédé. J'ai préféré raccrocher.
Beaucoup d'événements avaient eu lieu aujourd'hui. Mon histoire d'amour avait avorté. J'avais rompu avec ma meilleure amie. Sans compter mon cœur qui partait en morceaux...
Trop souvent, un bonheur annoncé s'avère plus savoureux qu'un bonheur vécu
Clémentine C.
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Le Quoicoubeh monumental
Teen FictionRentrée scolaire de 1re. Un lycée tout pourri. Tout le monde fume des pétards. Quand t'as pas de petit ami, t'es traitée de sac à patates. Les profs pleurent en cours. À part M. Tistic, ils se font tout le temps couper la parole par des QUOICOUBEEEE...