Cela faisait déjà plusieurs heures que j'emboîtais le pas à ce garçon R. Plus nous marchions, plus il vacillait de droite à gauche, il n'avait aucun équilibre. On aurait dit un poulain qui venait de naître sur ses jambes trop longues... Il n'avait pas dit un mot depuis qu'il m'avait rebaptisé "Kitsune", c'était assez inquiétant. Je me demandais où il m'amenait, pourquoi, qu'est-ce qui allait m'arriver une fois arrivée "là-bas"... Et puis quel était son vrai nom ? Il ne pouvait pas vraiment s'appeler "R"... Cela prouvait que malgré ce qu'il prétendait, il se méfiait un peu de moi... Bizarrement, ça ne le gênait pas que je me trouvasse à moins de deux mètres de lui, mais il ne voulait pas que je connaisse son nom... Drôle de façon de se protéger du danger ! Je n'osais imaginer comment pourrait être sa sœur ! Vivre tous les jours avec un frère semi-muet, un regard éternellement blasé, et des propos pour le moins extravagants, c'était assez pour rendre fou n'importe qui.
Mon œil me faisait affreusement mal, j'étais affamée et fatiguée, mais sa peau pâle ne me faisait aucunement envie. Je serais étonnée d'y trouver du sang si j'y mordais, il était tellement blanc.
- Je t'assure que j'ai bien du sang, mais j'aimerais le garder à l'intérieur de mon corps. Tu auras bientôt à manger, alors patience, dit R à mon égard sans se retourner.
J'avais oublié qu'il pouvait entendre mes pensées... enfin, pas toutes mes pensées, quand-même ? Ou alors c'est juste que le commentaire du poulain ne l'avait pas assez vexé pour qu'il intervienne ? Ce garçon m'intriguait autant que moi lui. Il était sans doute le seul sur cette planète qui pouvait voir mes "ailes". Je savais que je piquais sa curiosité, et malgré ses gestes et façons bizarres il était extrêmement intelligent. Il calculait les risques pour n'en prendre aucune qui n'était obligatoire. Si je marchais à ses côtés, c'était bien parce qu'il le voulait, il avait jugé que je ne lui ferais rien. Il me menait en laisse comme son chien, obéissante et soumise car nous savons tous deux que je n'avais pas le choix. J'étais son prédateur naturel, il devrait trembler devant moi ! Il devrait fuir ! Il devrait crier ! Hurler ! Mourir ! C'est ainsi que ça se passe ! Et pourtant, il n'en était rien, même pas une lueur d'angoisse sur son visage. Il se sentait supérieur à moi, et je ne peux exprimer à quel point cette position de faiblesse me dégoûtait, non seulement sur le plan physique, mais aussi et surtout sur le plan des capacités intellectuelles. Ça me peinait d'admettre que ce garçon me battait dans ce domaine, car c'était toujours par la logique que je gagnais les disputes - en démontrant que j'avais raison.
R écarta une touffe d'herbes hautes puis se figea. Je fis de même.
- Que se passe-t-il ? chuchotai-je, scrutant les alentours, nous étions à l'orée de la forêt, à moins de cinq mètres de la première maison d'un village, pas très différente de celui que j'avais quitté.
- Là, il y a une patrouille en haut de la colline, dit-il en guise d'explication de sa voix monotone.
Je suivis son regard et je remarquai qu'il y avait en effet cinq silhouettes noirs au loin au sommet de la montagne verte avançant sur un chemin de terre qui passait juste devant nous. À l'abri de la végétation, ils seraient incapables de nous voir, même en arrivant à notre niveau, et à leur allure, il allait leur falloir au moins dix minutes pour retourner à la ville.
- Pourquoi attendons nous ? l'interrogeai-je, perplexe.
- Si nous sortons de la forêt maintenant, il y a une probabilité de 75 % qu'ils nous aperçoivent, et ils ont l'obligation de signaler tout individu qu'ils voient entrer dans le périmètre au chef du village. Je préfère éviter des soupçons sur toi dès le début, il faut que les villageois aient confiance en toi. De plus, il se pourrait qu'ils voient tes queues, nous serions perdus si cela arrivait... me répondit R, les yeux rivés sur la patrouille.
VOUS LISEZ
Crimson Curse
FantasyJe courais, je courais aussi vite que je pouvais. Mes jambes étaient en feu, me suppliaient d'arrêter, mes pieds étaient en sang, mon cœur battait comme un piston. Je courais encore. Toute ma vie, je n'ai fait que fuir. Je croyais que c'était la bon...