Je courais, je courais aussi vite que je pouvais. Mes jambes étaient en feu, me suppliaient d'arrêter, mes pieds étaient en sang, mon cœur battait comme un piston. Je courais encore. Toute ma vie, je n'ai fait que fuir. Je croyais que c'était la bon...
Un énorme chêne déraciné... une petite fille en larmes habillée de hargnes qui criait son malheur... une autre gamine aux cheveux blonds qui arborait un sourire innocent... un jeune garçon qui jouait du piano... des gouttes de sang scintillants au soleil... les Sans-Visages errant dans une nuit sans lune... des flammes ardentes qui consumaient lentement un vieux bâtiment... un bébé entouré de couvertures écarlates... puis le noir, il n'y avait plus que les ténèbres purs qui constituaient le domaine des vampires.
J'entendis des halètements effrénés. C'était la respiration saccadée de la proie terrifiée. Je courais, je courais de nouveau comme la nuit de ma fuite du village. Mes pieds nus s'appuyaient à peine sur l'herbe écarlate. Plus je la voyais, plus cette boucherie me donnait la nausée. La plaine était couverte de corps inertes, il n'y avait pas de vent, rien ne bougeait à part moi, et les deux silhouettes noircies qui me poursuivaient. J'avais peur, non, j'étais terrorisée. Ces deux personnes étaient sur mes talons. Je fonçai vers un bois mort qui se trouvait dans un coin du champ du massacre et je priai que mes poursuivants soient moins à l'aise sur un terrain accidenté. Je sautai par dessus une racine squelettique puis je zigzaguai entre les buissons de ronces. Le premier de mes chasseurs tomba dans les épines, mais se releva aussitôt et se jeta vers moi, le second dépassa le premier et parvint à se rapprocher de moi. Il tendit la main et s'empara d'un coup sec de mon cou. Je manquai de m'étrangler contre ce crochet noir qui compressait ma gorge. Je sentis un battement solitaire de mon cœur palper dans mes veines. J'avais l'horrible impression que c'était la fin, je bêlai désespérément.
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- Kitsune ! Réveille-toi !
Je me levai brutalement et donnai un coup de tête fulgurant à R qui se trouvait directement au dessus de moi.
- Aïe-euh ! me plaignis-je, frottant mon front endolori, Qu'est-ce que tu fais là ?
Oui, qu'est-ce qu'il faisait là ? Ce rêve était la vision de l'avenir qui nous unissait tous les trois dans ce paysage cauchemardesque couvert de cadavres. Je n'étais jamais arrivée aussi loin, la plupart du temps je me réveillais au moment où j'apercevais le bois spectral. D'habitude, nous revenions à la réalité en même temps, et nous nous retrouvions dans la chambre d'une Last tremblante, qui avait des visions plus nettes que nous, elle reconnaissait notamment le visage des morts. Alors que R soit déjà levé et parvenu jusqu'à ma chambre et que ce soit lui qui interrompe mon rêve par dessus le marché relevait de l'exceptionnel.
- Tu criais dans ton sommeil, je pense que tu as réveillé toute la maison, m'informa-t-il, ne manifestant aucune douleur.
- Mais tu devais être endormi aussi ! C'était le cauchemar... on se réveille en même temps d'habitude, m'étonnai-je, en me redressant.
- Tu faisais le cauchemar ? répéta le garçon d'albâtre, un soupçon de surprise dans sa voix, Moi, je faisais un rêve où un chat m'avait montré un monde où le sol était en guimauve à la cerise et...
