Les semaines après mon arrivée à la maison verte et par extension Alamandra (qui était le nom du village) se passèrent sans accrocs. Dans les premières semaines je rencontrai Last, la dénommée "sœur" de R. C'était une jolie jeune fille de treize ans, très petite et pleine de joie de vivre. Elle avait de magnifiques longs cheveux noirs de jais qu'elle attachait en couettes qui retombaient gracieusement sur ses épaules hâlées, des beaux yeux gris et une élégance innée. Sa frange épaisse masquait un troisième œil orangé qui se trouvait en plein milieu de son front. Elle disait qu'il lui permettait de prévoir les mouvements exactes des personnes autour dans le futur proche, contrairement au don que nous partagions, qui ne nous donnait que des images floues d'un avenir dont la date était inconnue. Avec des attributs pareils, mes queues étaient plus une curiosité qu'une déformation. Elle était un peu naïve, et elle avait une maladresse attendrissante avec les plus âgés qu'elle.
Après plusieurs semaines, elle prit l'habitude de se blottir contre moi le soir, alors que j'étais allongée sur le vieux canapé à regarder le feu, pour que je l'enroule de ces touffes de poils blancs duveteuses. Elle s'endormait alors dans mes bras, sans oublier de me rappeler à chaque fois à quel point ils étaient froids. Dans ces moments-là, j'avais l'impression qu'elle était vraiment ma petite sœur, et que ce bonheur ne s'effacerait jamais, j'oubliais ma vie d'avant. Dans ces moments-là, j'étais humaine.
Je rencontrai également Jacob, le joyeux mari de Martha, un petit homme bien dodu avec des cheveux gris bouclés et une petite barbe. C'était un berger, et était très attaché à son petit troupeau, il refusait de tuer ses bêtes, même quand le lait des chèvres était épuisé, quand les poules ne pondaient plus, ou quand la laine des moutons devenait trop fine pour être utilisé. Lorsque cela arrivait, il se contentait simplement d'utiliser le lait, les œufs et la laine des jeunes du troupeau, et laissait la vieille génération vivre paisiblement leur vie jusqu'à expirer leur dernier souffle. Je trouvais que cette façon de faire était bien plus agréable que ce qu'on avait raconté sur les fermes humaines qui concentraient les bêtes dans un espace restreint et les tuaient dès qu'ils ont amassé assez de gras.
La maison ne manquait jamais de quoi se nourrir, il avait des légumes d'un large potager dans le jardin, les animaux fournissaient les œufs, le lait, le fromage et la viande. Jacob vendait surplus de lait et de fromage, ce qui avait contribué à varier leur alimentation et à maintenir l'orphelinat en assez bon état... à l'intérieur.
Jacob avait des airs de sage, on le voyait souvent plongé dans une réflexion profonde dans un coin de la pièce dans son fauteuil, mais en vérité c'était un farceur. Il jouait sans cesse des tours à sa femme, racontait des mauvaises blagues et avait un rire qui s'entendait à trois kilomètres à la ronde. Les voisins s'en étaient plaints plusieurs fois, et ainsi la nouvelle de mon arrivée se répandit lentement dans le village.
De plus Martha accueillait régulièrement des amies professeurs, mères de famille, ou gérantes de crèche pour papoter dans le salon ; j'étais chargée de leur apporter le thé et les biscuits, et naturellement la nouvelle suscita leur intérêt. Martha se fit une joie de leur dire qu'à mon arrivée elle croyait que j'étais l'amante de R ce qui me valut pas mal de plaisanteries plus ou moins gentilles. R avait la réputation de n'avoir d'égards que pour les chats (ce qui n'était pas tout à fait faux) et que si jamais il devait se marier, ce serait à une félinienne.
Je pris beaucoup d'habitudes pendant ces semaines, j'appris beaucoup de choses. Martha m'habillait des vieux vêtements de Proxys, une jeune femme qui venait de quitter la maison verte pour étudier à Asalas, un pays loin à l'Est de l'autre côté de l'océan. Martha accrochait des images d'elle et les autres dans l'entrée, Last me l'avait montrée une fois. Elle était jolie, elle avait un vrai corps de danseuse classique, ses long cheveux châtains cascadaient sur ses épaules et tombaient encore, s'arrêtant seulement au niveau de ses hanches. Ses yeux bleus exprimaient un je-ne-sais-quoi d'intelligence et dans toutes les images, elle avait l'air de vivre le bonheur. Martha s'inquiétait beaucoup pour elle, mais en même temps, elle s'inquiétait beaucoup pour tout le monde. Elle était l'opposé de R, elle s'attachait à tout le monde, les appelant "ma cocotte" ou "bichette" ou encore "ma colombe", surtout moi.
VOUS LISEZ
Crimson Curse
FantasíaJe courais, je courais aussi vite que je pouvais. Mes jambes étaient en feu, me suppliaient d'arrêter, mes pieds étaient en sang, mon cœur battait comme un piston. Je courais encore. Toute ma vie, je n'ai fait que fuir. Je croyais que c'était la bon...