Le lendemain, Last retrouva ses vieilles habitudes aussi vite qu'elle les avait perdues. Elle revint me parler, elle me séquestrait pour l'aider avec ses devoirs, elle se dorlotait dans mes queues... La routine. Ce jour-là, il pleuvait des cordes, il faisait moche. Même Martha, la femme éternellement de bonne humeur, semblait affectée par le temps, et Jacob n'était pas d'humeur à faire des farces... La journée se passait normalement jusqu'à ce que Martha entra précipitamment dans le salon, toute effarée :
- Dites, les filles, vous n'auriez pas vu R ? demanda-t-elle, paniquée.
- Non, pourquoi ? nous lui répondîmes à l'unisson.
- Je ne le trouve nulle part ! s'exclama-t-elle.
Je ne comprenais pas pourquoi elle était si inquiète, R n'était pas très sociable — vous auriez pu le deviner — et arrivait à se cacher dans des espaces minuscules pour qu'on ne le dérange pas. Une fois, nous l'avions retrouvé recroquevillé dans le four éteint en train de mâchouiller de la guimauve. Il pouvait passer des jours entiers sans voir un autre être humain, et ça ne le gênait pas le moins du monde.
- Il est probablement accroupi quelque part dans la maison, il ne faut pas s'inquiéter Martha, la rassurai-je.
- En temps normal, je n'y prêterais pas attention, c'est juste qu'aujourd'hui... commença-t-elle.
- Non... C'est aujourd'hui ? s'étonna Last.
- C'est quoi, aujourd'hui ? les interrogeai-je, complètement perdue.
- C'est son anniversaire, m'apprit Martha.
- Vraiment ?
Bizarrement, je ne pensais pas qu'il avait un anniversaire... Enfin je ne savais pas vraiment comment l'expliquer, mais j'avais une sorte d'impression que R était apparu un jour tel qu'il était avec son apparence de garçon de quinze ans... Seize ans maintenant du coup.
- Oui, et les précédents anniversaires il a toujours fait au moins une chose étrange, renchérit Last.
- Comme quoi, par exemple ? m'enquis-je, pour moi son comportement était déjà étrange.
- L'année dernière, il est resté toute la journée sur le toit, on sait toujours pas comment il a réussi à y grimper. L'année d'avant, il a fait sept gâteaux forêt noire puis n'y a pas touché, l'année d'encore avant, il a essayé de manger une grenouille... Bref, des choses étranges quoi... me renseigna ma sœur.
- Est-ce que vous pouvez aller le chercher s'il vous plaît ? Je commence vraiment à m'inquiéter, dit la bonne femme.
- D'accord ! Kitsune, je vais fouiller la maison, toi, cherche-le dehors ! m'ordonna Last.
- Dans la pluie ?
- Exactement, allez, on y va !
- Pourquoi c'est moi qui doit aller dehors ?
- Parce que j'aime pas la pluie. Allez, il faut le trouver au plus vite ! C'est pas le moment de râler pour un peu d'eau !
Je trouvais sa dernière réplique légèrement irritante, mais je me levai tout de même, mis mon manteau et sortis. Aussitôt, je sentis sa trace, il était bien parti. Peut-être que cette année ce serait "il est resté dehors sous la pluie battante jusqu'à ce qu'il attrape un rhume". Je suivis la traînée de faible chaleur humaine qu'il avait laissé derrière lui. Heureusement, elle était facile à traquer, puisqu'il était le seul assez fou pour aller se promener par ce temps. Il s'éloignait des quartiers que je connaissais où les maisons étaient principalement en bois pour aller vers un faubourg avec des maisons en pierre. Elles étaient dans un état similaire à celui de la maison verte : la pierre s'effritait par endroits, la lierre gagnait du terrain et presque toutes les vitres étaient brisées. Les ruelles pavées étaient très étroites et inégales. L'endroit devenait de plus en plus glauque, des mendiants me suppliaient de les aider, des femmes très légèrement vêtues pour le temps me bousculèrent et je contournai plusieurs personnes qui portaient des couteaux, voire des haches. Heureusement, ils ne m'embêtèrent pas trop, et pour une fois je remerciai le ciel de m'avoir infligé une cicatrice qui me donnait l'air d'une dure à cuire.
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Crimson Curse
FantasyJe courais, je courais aussi vite que je pouvais. Mes jambes étaient en feu, me suppliaient d'arrêter, mes pieds étaient en sang, mon cœur battait comme un piston. Je courais encore. Toute ma vie, je n'ai fait que fuir. Je croyais que c'était la bon...