La maison verte

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Je me tenais devant une grande grille en métal noire et rouillée sur laquelle était gravé "Orphelinat de L'Espoir" en énormes lettres d'or fades. R la poussa et elle s'ouvrit lentement en émettant un grincement atroce. Il me mena ensuite sur un chemin de terre dure presque envahi par les mauvaises herbes qui piquaient mes pieds nus. Au bout de ce chemin désagréable se trouvait une vieille maison en bois délabrée, de couleur vaguement verdâtre. Elle avait dû être très jolie parle passé, mais aujourd'hui, elle était comme le squelette abandonné d'une habitation. Une petite véranda de planches moisies surélevées donnaient accès à la porte d'entrée, les fenêtres étaient sales, plusieurs carreaux étaient cassés et avaient été réparés maladroitement de telle façon à ce que ce soit impossible de voir à travers, des trous étaient creusés dans quelques planches par des animaux divers, il manquait une tuile sur deux sur le toit et il n'y avait plus de poignée sur la porte de devant. On aurait dit que cebâtiment glauque était inhabité depuis des siècles. Est-ce que R habitait vraiment là-dedans ? Cette maison ne semblait même pas convenable pour des rats, alors y loger plusieurs humains...

- Bienvenue à la maison verte. C'est comme ça qu'on appelle cet endroit - le nom fait preuve de l'originalité de l'esprit de ma sœur, m'informa R, d'un air distrait. Il semblait chercher quelque chose.

Un miaulement strident se fit entendre en provenance de la maison, et un petit chaton noir et blanc surgit de sous les trois marches qui permettaient de monter sur la véranda. Il avait dû perdre sa mère, pauvre bête... À ma surprise, R se précipita à sa rencontre, s'accroupit à côté et se mit à le caresser. C'était le premier animal auquel il montrait des intentions tendres depuis que je le connaissais (ce qui ne faisait pas longtemps, admettons-le, mais même). Le chaton semblait apprécier l'attention et se roula sur le dos. Ils étaient mignonscomme ça : le chaton ronronnait tandis que R lui chatouillait lentement le ventre du bout du doigt, avec sa mine ennuyée qui devait sans doute être sa mine habituelle. Je n'osais pas lui demander quand on allait rentrer, et j'avais l'impression qu'il allait m'ignorer quoi que je dise, alors je me contentai de les regarder jusqu'à ce qu'il m'adressa la parole :

- Cela fait des années que j'étudie les chats, chaque détail de leur squelette, de leurs articulations, de leurs muscles, de leurs habitudes... je n'ai toujours pas réussi à élucider le mystère de leur élégance. Je pense que cette question sera la seule laissée sans réponse...

J'émis un petit rire à moitié étouffé. J'aurais peut-être dû me préoccuper de comment il avait étudié leur squelette - il ne m'avait pas l'air du genre à se contenter d'un dessin dans un livre - mais autre chose attirait mon attention. La "seule question" ? Pour lui, la question la plus philosophique qu'il pouvait se poser était de savoir d'où les chats tiennent leur grâce naturelle ?

- Pourquoi ris-tu ? me demanda-t-il sans me regarder.

- Pour toi, c'est la seule question laissée sans réponse ? Tu n'as pas dû te poser beaucoup de questions alors. Tu as pensé aux questions existentielles comme "Quel est le sens de la vie ?" ?

- Oui, et j'y ai trouvé une réponse. Ce n'était pas particulièrement difficile. Mais les chats... voilà bien un autre problème...

- Ah, bien, alors quelle est la réponse ? Quel est le sens de la vie ? insistai-je incrédule. Ce type était intelligent, je le voyais bien, mais dire qu'il avait la réponse à une question qui avait boulversé humains comme vampires ne pouvait être autre chose que de l'orgueil.

- C'est simple : il n'y en a pas, répondit-il, ennuyé.

- Explique-toi.

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