Maintenant que la question de ma nourriture était réglée pendant des mois, j'étais beaucoup plus calme et plus ouverte aux autres. Je ne pouvais toujours pas visiter le village car Martha estimait que les cicatrices autour de mon œil et mon épaule étaient encore trop visibles et pourraient effrayer les villageois. Personnellement, puisque près de toutes les femmes du village m'avaient déjà vue, je trouvais ça ironique qu'elle craignisse pour la sensibilité du boucher et du forgeron... J'étais un peu triste de ne pas pouvoir chercher la provenance de la tonne de guimauve que R se procurait chaque semaine et des trois bols de cerises qu'il faisait apparaître sur la table basse du salon. Je le voyais souvent s'accroupir à côté et machinalement les mettre dans sa bouche, fruit et queue, puis quelques minutes plus tard tirer la langue sur lequel se trouvait le noyau et la queue nouée. J'avais essayé moi-même, je n'y arrivais pas du tout. Il était très bizarre, avec tous ses vêtements trop grands pour lui, sa fascination pour les félins et ses cernes grandissantes sous les yeux. En même temps, nous avons presque tous des cernes...
Nous souffrions tous les trois d'affreux cauchemars procurés par notre don commun : des éclats d'avenir nous étaient révélés dans notre sommeil. Il y avait des périodes où toutes les nuits nous voyions ce champ de bataille rouge qui nous était devenu familier. De divers silhouettes allaient et venaient, des coups étaient donnés et nous nous réveillions tous avec une angoisse inexplicable sur le cœur. Bien que nous voyions tous la même scène, Last était plus affectée que R et moi, et souvent revenait au monde réel paniquée et en sueur. Elle ne se rendormait que lorsqu'on lui chantait une berceuse, devoir qui me revenait la plupart du temps, si ce n'est que parce que Martha voulait éviter d'avoir à supporter la "voix de rossignol" de R. Apparement, j'avais un joli chant. Après qu'on m'ait dit ça, je me mis à chantonner en travaillant, et Jacob commença à me donner des chansons à apprendre. Il y en avait de toutes sortes, des ballades joyeuses, des airs tragiques, des berceuses calmantes - qu'il m'a probablement donnés pour le bien de Last - et des refrains qui me donnaient l'envie de danser.
Last, quant à elle, me porta de plus en plus d'attention quand elle était à la maison. Contrairement à R, elle avait encore l'âge d'aller au collège. Il n'y avait qu'une seule école dans le hameau, elle enseignait des niveaux CE1 à la troisième, avec seulement quatre classes - les niveaux sixième / cinquième et quatrième / troisième étaient réunis - avec un ensemble de trois professeurs. Les jeunes souhaitant continuer leurs études devaient aller en ville, qui se trouvait à plusieurs kilomètres en traversant la forêt. Proxys, elle, était allée encore plus loin en changeant de continent pour ses études.
Dès que Last rentrait, elle venait me chercher - souvent j'étendais le linge dans le jardin ou j'aidais Martha avec la vaisselle - pour me demander à l'aider avec ses devoirs. Au départ, je ne pouvais pas l'aider. Mon père avait peur qu'on découvre notre secret s'il m'envoyait à l'école, il était devenu mon professeur particulier, mais comme il n'avait pas le programme, j'étais très en avance sur certaines notions mais complètement perdue dans d'autres. De plus, les humains avaient un alphabet complètement différent de notre syllabaire vampirique, je mis beaucoup de temps à apprendre son fonctionnement. Heureusement, Last était gentille, et m'apprenait ce que je ne connaissais pas tandis que moi, je la conseillais là où j'étais à l'aise. Elle était adorable, et avait gardé l'innocence naïve de l'enfance.
Son troisième œil m'intriguait. Je ne l'avais jamais vu, mais R et Martha y avaient fait allusion à de nombreuses reprises. D'après eux, il serait l'origine de ses pouvoirs télékinétiques, qui étaient faibles pour l'instant, et de sa capacité à avoir à volonté des visions précises de l'avenir proche. Un après-midi, alors que je l'aidais avec des problèmes de mathématiques dans le salon, je lui demandai :
- Last, ça ne fait pas bizarre d'avoir un troisième œil ?
Elle leva la tête et me regarda avec ses yeux gris, et me répliqua en souriant :
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Crimson Curse
FantasyJe courais, je courais aussi vite que je pouvais. Mes jambes étaient en feu, me suppliaient d'arrêter, mes pieds étaient en sang, mon cœur battait comme un piston. Je courais encore. Toute ma vie, je n'ai fait que fuir. Je croyais que c'était la bon...