Chapitre 1 ; Orpheline

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L'orphelinat est atrocement vide en ce jour. Le jour des visites. Le jour où les enfants s'habillent élégamment, se pouponnent, se parfument et se montrent sous leurs meilleurs jours. Les adultes passent les portes de l'orphelinat en quête d'un petit ange à prendre sous leurs ailes et les enfants courent dans leurs bras. Que c'est niait... Pour moi, ça n'a jamais été aussi rose. Tout a toujours été... Atrocement blanc. Il n'y pas une once de couleur dans ma vie, pas un soupçon d'aventure, pas d'espoir et pas d'envies. Tout n'est que routine. Les seules choses qui me permettent de m'évader, sont les livres. Malheureusement, la bibliothèque de l'internat n'est pas bien remplie et voilà des années que je relis les mêmes ouvrages. Les livres sont aussi usés que mes vêtements. Demain, je fêterai mes seize ans et ruinerai un peu plus mes chances d'être adoptée. Personne ne veut des adolescentes et surtout pas de moi. Je suis impulsive, introvertie, méfiante... Les autres enfants me l'ont assez rappelé. Je sors de ma chambre clopin-clopant, mes pieds étant trop serrés dans mes baskets déchirées.

— Blanche !

Je me tourne avec appréhension à l'appel de mon prénom. Que se passe-t-il ? J'aperçois madame Li, la directrice de l'orphelinat et esthétiquement... Mon bourreau ! Sa robe bleue à pois blanc flotte sur ses chevilles et ses cheveux blanchis par l'âge sont mal attachés. Elle s'arrête devant moi et remonte ses lunettes sur son nez.

— Combien de fois t'ai-je dit de ne pas sortir le jour des visites ? Tu risquerais de décourager les futurs adoptants.
— Vous voulez dire que je suis une souillon mal habillée ?
— Comme tous les enfants. Non, ce que je veux dire, c'est que tu es tout le contraire de ce que cherchent les adoptants. Tu es bien trop âgée et n'espère en rien être adoptée.
— Si je n'ai pas le droit de sortir, comment voulez-vous que je sois repéré par quelqu'un ? Si personne ne me voit, personne ne peut m'adopter !
— En plus d'être têtue, tu es égoïste ! Laisse la place aux enfants les plus jeunes qui viennent à peine de perdre leurs parents et qui ont peut-être une chance de retrouver une famille.
— Et les adolescents qui attendent depuis des années dans cet orphelinat, y pensez-vous ?!

Sa main fend l'air et heurte mon visage. Ma joue me brûle instantanément.

— Retourne dans ta chambre et ne fait pas de crise.

Ne l'écoutant guère, je me tourne et dévale les escaliers. Des adultes et des enfants jouent, parlent ou dansent dans le hall de l'orphelinat. Certains enfants attendent qu'un adulte dédaigne leur accorder un regard. Pauvre enfant... La plupart ne seront pas adoptés ou simplement recalés, étant jugés pas assez sages. Nous n'avons pas demandé à être orphelins. Là, une idée me vient. Je n'ai pas le droit d'être adoptée m'a t'ont dit ? Alors pourquoi eux auraient le droit ? Je me précipite dans le hall, saisit une étagère sous le regard éberlué des quelques adultes présents et renverse l'intégralité de l'étagère qui s'écroule dans un immense fracas. Des enfants crient, des femmes s'indignent, des hommes s'énervent, tous en harmonie. Très fier de mon coup, je cours vers le comptoir de l'accueil, saisis les dossiers éparpillés devant la réceptionniste et les jettent en l'air, les déchirent ou les piétinent. Madame Li reste planté devant les escaliers en m'observant. Pendant plus de dix minutes, j'explose des pots de fleurs, je déchire des dictionnaires ennuyeux, je casse des tables et abimes des fauteuils. Je sais que c'est cruel de faire cela au pauvre petit bambin qui attendent désespérément une nouvelle famille, mais je trouve également injuste que j'attende durant près de quatorze ans des parents aimants et qu'on m'interdise le droit d'être adoptée maintenant que je suis adolescente. Alors, toujours avec rage, je hurle et crache quasiment au visage des potentiels adoptants. Les enfants qui m'entourent me crient d'arrêter, mais rien ne semble pouvoir stopper ma crise de nerfs. Mes cheveux sont en bataille, ma robe grise est encore plus déchirée qu'avant et mes joues sont pleines de larmes. Les adultes déguerpissent sans même dirent au revoir aux enfants qu'ils tenaient dans les bras quelques minutes auparavant. Madame Li surgit alors, accompagnée d'un agent de sécurité et d'une infirmière. Le personnel de l'internat n'est pas très nombreux. L'agent de sécurité et l'infirmière m'attrape par les aisselles et me soulève de terre. Je hurle à pleins poumons dans l'espoir d'alerter quelqu'un mais personne ne vient m'aider.

— AU SECOURS !!

J'ai beau crier, mordre et donner des coups de pieds, l'agent de sécurité et l'infirmière me tiennent trop fermement pour que je puisse me libérer, ce qui a l'air de réjouir Madame Li. Ils me jettent dans ma chambre et en verrouillent la porte. Je saute sur mon lit et plaque mes mains sur mon visage. Je veux sortir d'ici ! Les murs de ma chambre semblent se rapprocher et la pièce me paraît de plus en plus petite. Mes crises de claustrophobie ne m'aident pas vraiment. J'inspire, j'expire, mais rien n'y fait. Je refuse de rester encore deux ans de plus dans cet endroit, surtout si Madame Li y exerce toujours la loi de la terreur. Je ne tiendrai jamais. Mes yeux se posent sur la photo encadrée de mes parents, soigneusement posée sur ma table de chevet délabrée. J'ai hérité des cheveux argentés de ma mère et des yeux bleu clair de mon père. Un couple magnifique. Ils étaient unis... Jusqu'à ce que la mort les sépare. Un stupide accident de voiture qui m'a laissé seule. La trappe de la porte de ma chambre s'entrouvre pour laisser passer un plateau de riz fumant. Visiblement, ce soir, je ne mangerais pas avec mes camarades de l'internat. Je me précipite sur mon repas et savoure les cuillerées de riz qui me brûlent la bouche. J'avale d'une traite mon verre d'eau et ramène mon plateau vide devant la porte. Une main s'empresse de le reprendre. Je me mets à fixer le plafond. Il n'y a aucun espoir. Le jour de mes seize ans sera le jour de la délivrance. Demain, je m'enfuirai et je forcerai le destin.

Rosa Bianca è Rossa ( En correction / réécriture )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant