Chapitre 3 ; Les Lanos

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Mes larmes coulent sur mes joues sans que je puisse les arrêter. Je suis assise sur mon lit, triste comme d'habitude quand quelqu'un frappe à ma porte.

— Madame Li ? Qu'est-ce qu'il y a ?
— Un couple voudrait te rencontrer.

Sérieusement ?! Maintenant ?!

— Ils t'attendent dans le jardin. Tu as dix minutes pour te préparer.
— Bien !

Je me dépêche d'enfiler ma plus belle robe, celle de ma mère, et coiffe langoureusement mes cheveux argentés. Une fois prête, je déboule toute heureuse dans le jardin de l'orphelinat. Le soleil brille, les oiseaux chantent, les plantes et les fleurs poussent un peu partout. Des bancs ont été installés pour que famille et pensionnaires puissent se rencontrer. Je n'ai jamais vraiment eu l'occasion de profiter du jardin, n'étant repéré que par Madame Li qui me sermonne sans cesse. Je cherche des yeux le « couple » dont on m'a parlé. À quoi ressemblent-ils ? Quelles sont leurs habitudes ? Sont-ils agréables ? Malgré toutes les hypothèses qui me trottent dans la tête, je ne repère personne. Encore une mauvaise blague de Madame Li... Alors que je m'apprête à quitter le jardin, un homme massif et une femme élancée s'avancent vers moi.

— Blanche Yver, j'imagine, commence l'homme.

J'écarquille les yeux et les scrutent de haut en bas. L'homme porte un costume qui paraît taillé sur mesure, une cravate et une chemise bleue. Ses cheveux sont noirs comme le jais, coupés court, et ses yeux sont... Noisettes ? J'ai du mal à définir leur couleur. Ses yeux oscillent entre le marron clair et le noir... Étrange. Je me tourne vers la femme. Elle porte une robe noire à dentelle, des escarpins vernis et tient un petit sac à main blanc. Ses cheveux sont châtains, attachés en un chignon, et ses yeux sont... De la même couleur que ceux de son mari ?! Quelle est cette étrange couleur ? J'ai l'impression qu'ils sortent tous droits d'un film. Hors dans cet internat, il est rare que nous aillons le droit de regarder la télé. Pourtant, c'est la plus belle invention du 21ᵉ siècle ! Me rendant compte que mes idées s'éparpillent, je me reconcentre sur le couple qui se tient en face de moi.

— Euh oui... C'est bien moi.
— Nous sommes enchantés, répond la femme.

Quelque chose m'interpelle. Comment connaissent-ils mon prénom et mon nom de famille ? Madame Li a sûrement dû leur donner mais... Comment me connaissent-ils ? M'ont-ils vu de loin ? Ai-je attiré leur attention ? Leur poser la question serait impoli. Oh puis tant pis !

— Comment me connaissez-vous ? Et qui êtes-vous ?
— Nous en oublions nos bonnes manières. Je me nomme Chris Lanos, et voici ma femme, Théodora.
— Ravie, répondis-je avec un grain de soupçon dans la voix.
— Nous t'avons vu hier quand tu as... ravagé le hall de l'orphelinat. Nous étions parmi le groupe d'adultes.

Mensonges. S'ils étaient parmi le groupe, je les aurais reconnus. Je suis assez physionomiste, et je peux vous assurer que ces gens n'étaient pas dans le hall hier pendant ma crise. Mais comment sont-ils au courant s'ils n'y étaient pas ? Je les trouve de plus en plus suspects et décide d'en savoir plus.

— Et ça ne vous a pas découragés de me voir faire fuir des gens et bousiller des trucs ? Étant donné que vous vous êtes enfui aussi...
— Nous étions surpris, voilà tous, répond froidement Théodora.
— Et puis nous aimons ton caractère. Tu ne te laisses pas faire et c'est une bonne chose, continu Chris.

Décidément, ces deux-là ne sont pas nettes, j'en mettrai ma main à couper !

— Pourquoi vous vouliez me rencontrer ? C'est bien pour ça que nous sommes ici, n'est-ce pas ?
— Nous voulions vérifier notre première impression.
— Et au final ? Suis-je comme vous l'attendiez ?
— Pas tout à fait, répond Chris.

Je me décompose.

— Tu es bien mieux que ce que nous espérions, reprend Théodora.

Un sourire nié se plaque instantanément sur mon visage. Apparemment, je leur plais. Je sais que je ne devrais pas me réjouir trop vite. Beaucoup d'enfants ont été dans la même situation que moi et ont été déçus quelques minutes après. Combien de fois ai-je entendu : « Nous souhaitons l'adopter » se transformer en « Finalement ça ne va pas être possible » ? Hum. Seulement des milliers de fois. Je reste méfiante. Chris et Théodora m'invitent à m'asseoir sur l'un des bancs libres, sous le regard étonné des autres adultes et des enfants qui s'arrêtent de parler pour nous observer. Il faut dire que, à côté du couple Lanos, j'ai l'air d'un ange. Et eux et bien... Ils ont l'air de vrais. Démons. Une fois assise, Théodora se tourne vers moi.

— Depuis combien de temps es-tu ici ?
— Ça doit faire... Quatorze ans.

Chris fait soudainement de grands yeux.

— Je suis navré.
— Ne le soyez pas, ce n'est pas votre faute. Mes parents sont morts dans un accident de voiture et on m'a envoyé ici. Je n'ai pas eu autant de chance que les autres enfants, c'est tout.
— Jamais personne n'est venu te voir ? demande Chris.

Je secoue la tête.

— Tout le monde n'arrête pas de me répéter que je suis trop impulsive, égoïste, égocentrique... Alors que les autres enfants sont gentils, agréables et bien trop mielleux à mon goût. Ils se font beaux et se montrent gentils uniquement devant les adultes. Quand les adoptants partent, ils se transforment en vrai petit diable. Une horreur !
— Tu as l'air d'avoir hâte de sortir d'ici. C'est pour ça que tu t'es enfuie hier ? m'interroge Théodora.
— Comment êtes-vous au courant ?!

Cette fois s'en est trop. Même Madame Li n'est pas au courant de ma petite escapade nocturne. Mon regard se durcit et je cherche désespérément des réponses.

— Et ne me dites pas que c'est Madame Li qui vous en a fait part, même, elle ne le sait pas !
— Nous avons parlé au personnel de l'orphelinat, car tu n'avais pas l'air d'apprécier Madame Li la dernière que nous t'ayons vue. Voilà tous ! s'empresse de répondre Théodora.

Je ne réponds pas et décide de changer de sujet.

— Vous avez des enfants ?
— Oui, quatre.
— Quatre ?! Mais... pourquoi vous vous rendez dans un orphelinat si vous avez déjà autant d'enfants à charge ?
— Nous voulions donner une chance à un enfant qui n'en a jamais eu.
— Nous avons Mathias, dix-sept ans.
— Léo, quatorze ans, dit Chris.
— Rose, treize ans, réplique Théodora.
— Et Eli, onze ans, reprend Chris.

On dirait vraiment qu'ils ont répété ça toutes leurs vies...

— Ils ne feraient pas de mal à une mouche.

Chris se tourne vers sa femme d'un air interrogateur et Théodora rigole légèrement. Le problème, c'est qu'ils ne sont pas juste étranges. Je vois beaucoup d'adultes étranges dans les parages. Non, si ce n'était que ça, j'en ferais abstraction. Le réel souci, c'est qu'ils sont froids, terrifiants et réellement intrigants. Leurs façons de s'exprimer et de bouger me donnent envie d'en apprendre bien plus sur eux.

— Nous comprenons bien évidemment que cela puisse te paraître étrange, mais...
— Nous voudrions t'adopter, Blanche, s'exclame Théodora.

Rosa Bianca è Rossa ( En correction / réécriture )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant