𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝐈

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Victoria s'avança vers les panneaux d'affichage. D'autres élèves étaient agglutinés en face de ceux-ci. Leurs voix, exclamations et rires résonnaient dans son esprit. Elle détestait particulièrement la foule, surtout lorsqu'elle était agitée comme à ce moment précis. Chacun espérait être dans la classe de son meilleur ami, mais Victoria n'éprouvait aucune hâte. Cet été, elle avait quitté Paris pour déménager. C'était une petite ville nichée dans la campagne de la côte d'azur, non loin d'Antibes, où se trouvait son lycée. Mais elle n'avait pas eu le choix : sa mère avait été mutée à Nice. Ses parents avaient divorcé lorsqu'elle était plus jeune et son père était parti vivre en Albanie avec le reste de sa famille, il avait perdu le droit du mariage et ne pouvait plus rester sur le territoire français. Victoria portait toujours le nom albanais de son père : Dervishi, mais les traits de son visage n'avaient pas suivi pas le mouvement. En effet, elle avait un visage plutôt doux et rond, des yeux bleu clair rassurants, un nez court et fin, ainsi qu'une petite bouche rosée. Sa peau était pale et des taches de rousseur couvraient ses pommettes et son nez. Ses cheveux brun et bouclés formaient un agréable contraste entre son visage et sa chevelure. Elle avait un dur caractère, et toute sa famille disait qu'elle tenait ça de son père, qu'elle n'avait que très peu vu durant son adolescence. Mais elle n'éprouvait pour autant aucune rancune envers lui : ses parents ont divorcé pour leur bien, et son père n'a jamais volontairement quitté la France. Victoria vivait donc avec sa mère et sa sœur à Paris depuis sa plus tendre enfance, et elle ne se voyait pas quitter sa ville de naissance. Mais le destin en a décidé autrement. Tout cet environnement est nouveau pour Victoria, et entrer en première dans un nouveau lycée quand on ne connaît personne est toujours un peu déstabilisant. Soudain, Victoria reprit ses esprits ; il fallait bien se faufiler parmi ces inconnus pour pouvoir savoir dans quelle classe elle allait être. Parmi une centaine de noms inconnus, elle trouva le sien. Victoria Dervishi, 1ère 1, salle 101. À présent, elle devait trouver cette salle. Elle poussa gentiment quelques élèves pour se diriger vers la cour. Ce lycée était très charmant, en pierre claire, orné de lierre et ronces, entouré d'arbres. Les élèves grouillaient de partout, tous de niveaux différents, cherchant leur classe. Victoria avait du mal à s'y retrouver ! Elle entra dans le bâtiment du lycée, déjà plus calme que la cour principale. Elle marcha et traversa quelques halls et couloirs. Vêtue d'un débardeur, elle craignait de se faire attraper par un surveillant, si les épaules devaient être couvertes dans ce lycée. Puis, elle commença à arpenter le couloir des premières à la recherche de cette salle 101. Le couloir était au rez-de-chaussée, et était en fait une sorte de galerie ouverte vers l'extérieur. Il y avait une cour intérieure, vide pour le moment, et des bancs qui la bordaient. Cet endroit était paisible, parfait pour étudier. De l'autre côté se trouvait le couloir des secondes, et en face celui des terminales. Le lycée n'était pas immense, la plupart des espaces étaient consacrés à la vie des élèves et non aux salles de classe. Quand elle eut atteint la salle, elle entra et s'assit à une table libre. Tous les visages lui étaient inconnus. Des groupes d'élèves entraient, discutaient et s'installaient. Les pieds des chaises grinçaient sur le sol, se mélangeant aux voix des élèves. Cinq minutes s'écoulèrent avant qu'une fille s'asseye à côté. C'était une fille aux cheveux châtain légèrement ondulés, dont une frange assombrissait ses yeux brun foncé et profonds. Victoria hésita un instant. Doit-elle se présenter et engager la discussion maintenant ou dans quelques minutes ? Elle n'eut pas le temps d'y réfléchir : un professeur entra dans la salle de classe. Souriant, il fit signe aux derniers élèves encore dans le couloir de venir s'installer. Il ferma la porte derrière eux et posa son cartable sur le bureau. Il se plaça devant le tableau et commença le cours.

***

Rose jeta un coup d'œil à sa voisine de table : une jeune fille élégante et avenante, aux cheveux bouclés et bruns, dont la peau était assez pâle. De fines taches de rousseur ornaient ses pommettes, et ses doux yeux bleus contemplaient l'agitation de la classe. Rose ne l'avait jamais vue avant, cette fille était sûrement nouvelle. Mais Rose avait prévu de passer l'année presque seule et de ne pas forcer le contact. Sa précédente expérience l'incitait à renoncer à n'importe quelle forme d'amitié à présent. Lors de l'été dernier, sa meilleure amie Agathe lui avait fait les pires coups. Après de longues années d'amitié, Agathe avait soudainement changé son comportement pour son petit copain, un certain Mathias. Poser un lapin à Rose un soir, la délaisser pour aller le voir, et raccrocher au téléphone, encore une fois pour appeler le fameux Mathias. Mi-août, elles avaient décidé de couper les ponts, et tant mieux. Cela faisait donc des semaines qu'elles ne s'étaient pas parlé. Comme elle détestait Agathe à présent ! Heureusement qu'elles ne s'étaient pas retrouvées dans la même classe. Devoir la croiser dans les couloirs est déjà de trop. Même si elle avait décidé de se concentrer sur le travail et non les relations amicales cette année, elle était très sociable et désirait découvrir qui était sa voisine de table. Alors pourquoi pas commencer la conversation ? Mais trop tard, le professeur fit irruption dans la salle.

Le premier cours passa lentement, le professeur principal avait présenté l'année de première – sans oublier de parler du fameux bac de français – puis leur a distribué toute la paperasse de rentrée sous laquelle les élèves allaient crouler pendant des semaines. La sonnerie retentit enfin, et Rose fut soulagée. Elle avait presque compté les minutes jusqu'à l'intercours. Elle se tourna vers sa voisine aux boucles brunes et engagea la conversation de manière classique. Celle-ci parut un peu surprise mais continua la conversation en se présentant.

– Je suis Victoria, et toi ?

– Rose. Enchantée, j'ai cru comprendre que tu étais nouvelle, c'est bien ça ? Tu viens d'où ?

Et elles continuèrent à discuter pendant toute la pause. Elles n'ont pas beaucoup de points communs, mais s'entendent à merveille. À présent, les deux jeunes filles n'étaient plus seules.

La journée se termina aux alentours de dix-sept heures, et les élèves commencèrent à quitter le lycée. Victoria salua sa nouvelle amie et se dirigea vers le parking où l'attendait sa sœur. Âgée de dix-neuf ans, sa sœur Vera avait le permis et pouvait se permettre d'aller chercher Victoria en voiture lorsqu'elle n'avait pas cours. Ce qui arrangeait bien évidemment Victoria, qui devra prendre le bus quand Vera sera rentrée à la fac, à Lyon. Mine de rien, vivre dans le sud de la France et à Paris est très différent. Début septembre, il fait encore très chaud dans le sud, avec le bruit des cigales et la proximité de la mer méditerranée, on aurait encore l'impression d'être en vacances. On en oublie presque qu'on passe le bac de français à la fin de l'année. Or, à Paris, il fait bon mais on sent que l'arrivée de la déprime hivernale est proche. Victoria raconta sa première journée à sa sœur durant le trajet vers sa maison.

Le dîner terminé, Victoria adorait rester seule dans sa chambre en écoutant de la musique, lisant un livre ou regardant un film. Avant, à Paris, elle sortait souvent avec ses amies le soir après une journée au lycée. Elles allaient boire un verre dans un café parisien, papoter au bord des quais ou dans les jardins des Tuileries. Alors qu'elle se démaquillait, elle reçut un SMS de Ilona, sa meilleure amie de Paris.

– Alors Vic, comment c'est le lycée dans ta campagne ?

Victoria ricana à la vue de ce message. Elle saisit son téléphone et le déverrouilla. Ilona lui manquait terriblement. Mais, par chance, celle-ci possédait une maison sur la côte d'azur. Elle y passait l'été entier, venait à la Toussaint et aux vacances de Pâques. Donc elle la reverra dans peu de temps. Elle ne put s'empêcher de l'appeler, cela lui rappelait leurs rituels d'avant. Tous les vendredis soir, elles s'appelaient en faisant leur skin care. Elles passèrent le reste de sa soirée à discuter. Victoria ne pouvait pas imaginer que ce rituel se terminerait à partir d'aujourd'hui.

– Il y a des garçons mignons ? Car quand je viendrai aux prochaines vacances, tu pourrais m'en présenter un ? demanda Ilona en ricanant.

– Haha non, pas pour l'instant. Mais promis, si j'en trouve un, je te dis.

Comme autrefois, elles passèrent la soirée à discuter, à rire et à se raconter toutes sortes d'anecdotes. Plus tard, les deux amies décidèrent de raccrocher. Victoria se démaquilla rapidement et reposa son téléphone après l'avoir mis en mode avion. Elle saisit un livre posé sur son bureau et se coucha dans son lit. Alors qu'elle se glissait sous ses draps, une masse vint affaisser la couverture. C'était sa chatte, Daisy. Une petite tigrée rousse pour laquelle Victoria éprouvait beaucoup d'affection. Elle vint se glisser tout près de Victoria, ronronnant et se frottant à son bras. Elle lut son livre une trentaine de minutes, mais après cette journée fatigante, il était temps de dormir. Elle reposa son livre, se leva pour fermer les stores, puis éteignit la lumière. Elle se glissa à nouveau sous la couette et essaya de trouver une position confortable. Elle retourna l'oreiller, tourna sa tête du côté gauche, puis droit. Elle se coucha sur le ventre, une jambe hors de la couette. Observant sa chambre obscure, fermant les yeux quelques minutes, elle attendait que le sommeil vienne. Elle avait chaud, alors elle retira entièrement la couverture. Mais rien à y faire, les minutes passaient et elle n'arrivait pas à fermer l'œil. Rien ne la travaillait, elle ne pensait à rien en particulier, mais impossible de s'endormir. Elle était peut-être malade ? Ou déboussolée par les récents évènements ? Le déménagement et la rentrée pesaient sûrement beaucoup sur son moral. Soudain, sa vision se troubla, elle ne vit plus rien mais sentait qu'elle était encore éveillée. La température de la pièce augmenta, et elle s'endormit enfin. Du moins, elle pensait.

Les Sables du Temps - Octingenti Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant