Le paysage se modifiait à mesure que la felouque s'éloignait d'Alexandrie. Les jours de voyage furent longs, et plus le temps passait, moins ils voyaient de civilisation : ils approchaient du désert. De moins en moins d'habitations et de paysans se présentaient sur les bords du Nil. Les jours devenaient de plus en plus longs, à ne rien faire sur la felouque. À tel point que des querelles avaient scindé le groupe. D'une part, Matthieu commençait à perdre le contrôle de ses émotions et s'énervait sur tout le monde : il a donc fini tout seul de son côté. Mais d'autre part, les filles ne supportaient plus ce long trajet en compagnie des garçons et de leurs réflexions souvent misogynes. En effet, sûrement sous l'effet de la fatigue, certains se permettaient de lâcher quelques messages blessants. Comme Liam, « je ne vous supporte pas, les femmes. », ou encore Oscar qui refusait l'aide des filles pour diriger la felouque. Elles ont donc décidé de ne plus leur adresser la parole. Et Denwen dans tout ça ? Il était resté de son côté, ignorant cette pagaille. Mais ils arrivaient à Badari, et ils devaient passer encore traverser le désert pendant deux jours. Et, mine de rien, cela travaillait l'esprit de tout le monde.
***
La felouque fut amarrée au port de Badari. Le groupe commença à décharger leurs provisions. Julia saisit un sac, le souleva par-dessus son épaule et traversa la felouque. Mais à la sortie de celle-ci, Matthieu rabâcha sèchement :
– On t'a dit de laisser ça. C'est à nous de décharger la felouque.
– Nous ?
– Les hommes, si tu vois ce que je veux dire.
– Comment ça, « si tu vois ce que je veux dire » ? insista Julia.
– Bon tu m'emmerdes là, laisses moi ça ou c'est toi qu'on va laisser là, radota-t-il agressivement.
Julia soupira bruyamment et laissa tomber le sac aux pieds de Matthieu, puis commença à s'éloigner. Celui-ci se retourna aussitôt.
– Ça te dérangerait d'en prendre soin ?! vociféra-t-il.
Julia ne répondit pas, s'éloignant de la felouque. Matthieu marmonna des injures tout en déchargeant les derniers sacs.
***
Denwen, accompagné de Maia et Victoria, se rendit vers un site de location de dromadaires. Il en loua cinq, dont quatre où ils devront être deux sur l'animal. Après avoir rejoint le reste du groupe, ils convinrent des binômes qui allaient être ensemble sur le dos de chaque dromadaire. Il était bien sûr hors de question pour les filles de se mélanger aux garçons mais Victoria ne semblait pas dérangée d'être avec Denwen. Suspect, ont-ils tous pensé, surtout Liam.
La journée fut interminable. Elle s'est résumée à rester assis sur le dos d'un dromadaire, marchant dans un désert dont chaque mètre carré était identique. Seulement le groupe, au milieu des dunes. L'atmosphère était toujours tendue, et personne ne se parlait, pas même ceux qui étaient sur le même dromadaire. Le bruit du vent venait, de temps en temps, briser ce silence. Mais le principal était qu'il ne leur restait qu'une nuit à passer dans le désert, puis sûrement une bonne partie de journée. Le soir vint, et il était temps de s'installer pour dormir. Le groupe s'est installé au centre de quelques dunes, pouvant les protéger du vent. Ils avaient installé leurs paillasses, des draps afin de former des abris, et ils dînèrent enfin. L'ambiance restait pesante : Matthieu restait toujours dans son coin, et tout le monde se faisait encore la tête. Denwen n'avait pas l'air d'apprécier cela.
– Dites, vous ne voulez pas vous excuser ? Du moins communiquer ? Vous vous faites la tête depuis presque cinq jours. Je ne vais pas vous mentir, ça commence à devenir lourd.
– Écoute Denwen, on t'aime bien, mais on ne va pas se reparler juste parce que tu nous l'as demandé, déclara Liam.
– Et pourquoi pas ? interrogea Julia. Ai-je besoin de vous rappeler qui est en tort ici ?
– Oui, vous, insista Oscar.
– C'est bon, taisez-vous, soupira Stan. On va pas aggraver la situation.
– C'est vous qui avez tenu des propos sexistes envers nous, je rappelle, affirma Julia.
– Très bien, l'avocate. Et donc ? On a entièrement raison, se moqua Liam.
Victoria et Maia se regardèrent, exaspérées. Elles se levèrent et allèrent se coucher dans l'abri d'en face. Julia sentit la colère monter, inspira un coup et éclata :
– J'en peux plus de vous et vos mentalités de connards ! Vous n'êtes que des bâtards, rien de plus.
Matthieu croisa son regard, habituellement vert clair et doux, qui s'était assombri. Et s'en suivirent d'autres insultes. Cela imposa un silence si bruyant que personne n'osa parler. Ils restèrent tous, à la fixer, dans l'incompréhension. À son tour, elle alla rejoindre l'autre abri, furieuse. Rose, ne comptant pas rester ici avec eux, elle se rendit alors dans l'abri avec les filles.
***
Aucun garçon n'osait reprendre la parole après les mots blessants de Julia. Pas même pour un propos sexiste la concernant. Denwen se glissa sur sa paillasse et commença à somnoler. Les autres garçons firent de même, sauf Oscar. Aucun d'eux ne s'était remis en question, mais Oscar y réfléchissait. Entre ce qu'il avait fait à Rose, plus ce qu'il se passait avec les filles, était-il le problème ? Bien souvent, l'ego prenait le dessus dans ce genre de situations, ce qu'il leur était arrivé à tous. Mais n'étaient-ils pas allés trop loin ? Oscar s'endormit après cette réflexion.
***
La nuit était tombée depuis longtemps, mais impossible pour Maia de fermer l'œil. Étant très sensible, toute cette situation l'avait fortement stressée. Elle n'était pas assez proche des filles pour leur en parler, et ne pouvait pas donc partager ses inquiétudes. Elle fixait le ciel, contemplait chaque petite étoile, en pensant à ses proches. Elle changeait de position quelques fois, et essayait de reconnaître quelques constellations. Même si elle était en plein milieu d'un désert sans la moindre protection, le calme était complet, et elle se sentait apaisée. Elle resta comme cela, à réfléchir, pendant une, deux, trois heures... et commença à doucement s'endormir.
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Les Sables du Temps - Octingenti Tome 1
Narrativa generale𝑹𝒆𝒔𝒐𝒏𝒂𝒕 𝒑𝒓𝒂𝒆𝒕𝒆𝒓𝒊𝒕𝒂. ༄ Septembre, c'est le jour de la rentrée. Victoria est une adolescente de seize ans, elle est nouvelle et ne connaît personne. Le soir même, alors qu'elle essaye de s'endormir, rien n'y fait, impossible. Elle est...