0. prologue

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La pulpe des doigts sur la touche de mon violoncelle, je me figeai.

Cette suite de notes que je jouais inlassablement depuis plusieurs heures devenait insupportable et pourtant, je ne pouvais m'y soustraire.

Encore. La jouer encore.

Refaire en boucle ce morceau qu'il avait composé sans l'avoir jamais terminé, c'était comme jouer pour lui. Comme pour me souvenir qu'il avait vraiment existé. Et note après note, je tentais de lui redonner vie.

Mais il ne revenait jamais.

Face à moi, une partition mille fois chiffonnée placée en équilibre sur mon pupitre, dernier vestige de sa vie terrestre, tout ce qu'il me restait encore de lui.

Combien de fois l'avais-je jetée de rage dans un coin de mon appartement avant de ramper pour la récupérer, l'âme en détresse et le cœur déchiré ? Combien de fois l'avais-je jouée en imaginant ce qu'il aurait pu écrire pour la terminer ?

Elle était pour moi, cette musique.

Il l'avait composée pour moi. Pour que je la joue, et qu'il puisse admirer son œuvre sous mes coups d'archet et sous le bouillonnement de mes ardeurs musicales.

Cependant, jamais il ne l'entendrait.

Seul dans mon petit appartement, je soufflai afin de ne pas pleurer et recommençai à jouer, faisant vibrer les cordes sous cette mélodie sortie tout droit de son cœur. C'était si dur de contrôler la tempête en moi que je dus me mordre la lèvre afin de ne pas céder à l'émotion, mon violoncelle collé contre mon corps désormais pris de tremblements. À chaque vibrato, à chaque mouvement, je la sentais pourtant gagner du terrain.

« Encore, Jungkook, ne t'arrête pas. » C'est ce qu'il m'aurait sûrement dit s'il avait été là.

Mais il était parti.

Il m'avait laissé.

Yejun avait été l'oxygène. Sans lui, la vie n'était plus qu'un foutu point d'orgue sans fin, et alors que j'entamai une rapide montée de notes, je m'arrêtai, le bras en suspens. Le son vibra un long moment dans toute la caisse de résonance alors qu'en moi ne subsistait qu'un cri de désespoir que je ne pousserais jamais.

J'étouffais.

Le souffle rapide, les larmes s'amoncelant sous mes paupières, je lâchai l'archet au sol et m'emparai de la partition afin de la chiffonner une fois de plus et la balancer avec fureur sur le canapé.

— À quoi ça sert Yejun ! Dis-le moi ! À quoi !?

Las, je finis par baisser la tête et laissai éclater mes larmes. En solitaire. Comme je le faisais toujours depuis qu'il n'était plus là. Depuis qu'il m'avait abandonné.

Et je le haïssais autant que je l'aimais.

— Yejun, reviens... suppliai-je.

Et termine ce morceau. Sans quoi moi aussi je resterais à jamais inachevé.

PAPER HEART { tk } sous CONTRAT D'ÉDITIONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant