22. la raison & le coeur

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J'ignorais combien de temps il fallait à un cœur pour trouver la force et le courage de pardonner. Mais ce que j'ignorais surtout, c'était si le mien était prêt à le faire en oubliant à quel point il avait été heurté.

On séparait souvent la raison et le cœur, comme si les deux étaient forcément dissociables. Il y avait la voix rationnelle et la voix émotionnelle qui s'affrontaient continuellement sans trouver de communion, à l'image de deux droites parallèles destinées à ne jamais se rencontrer. Il y avait le cœur et la tête, l'instinct et la prudence, les tourbillons de l'affect et la froideur de la logique.

Pourtant, j'étais certain que tout était lié, d'une manière ou d'une autre.

Si l'on choisissait d'écouter sa raison, c'était pour éviter de se faire du mal. Confronté à une situation émotionnellement complexe, on avait tendance à se tourner vers le rationnel pour se préserver, car écouter son coeur, c'était prendre le risque de le voir se briser.

Mais écouter sa tête nous empêchait-il de souffrir ?

Je n'en étais pas persuadé.

Et c'était à cet endroit précis où les deux lignes parallèles déviaient et trouvaient leur point de contact : quoi que nous choisissions, nous étions appelés à ressentir quelque chose. Parce que nous étions humains. Parce que le cœur ne cessait jamais de fonctionner, même si nous nous forcions à solliciter la tête.

Et quand bien même nous nous persuadions qu'en choisissant la raison nous nous mettions à l'abri des blessures, il n'en était rien.

J'avais pris la décision de m'éloigner de Jimin dans le but de m'éviter une douleur que je ne me pensais pas capable d'encaisser. J'avais écouté ma tête (et ma colère, aussi), qui m'avait dicté de prendre de la distance afin de ne pas m'abîmer plus encore.

Pourtant, je souffrais.

Être séparé de lui me faisait bien trop mal, et quand bien même ça n'avait duré que quelques jours, mon voyage à Jeju m'avait permis de réaliser qu'on ne devait pas renoncer à ceux qu'on aime pour si peu. Qu'on devait apprendre à leur pardonner avant qu'il ne soit trop tard.

J'avais grandi, je crois.

J'avais évolué.

Le cerveau est programmé pour la survie, vous savez, et porte plus d'importance à tout ce qui pourrait le menacer plutôt qu'au reste. Lorsque je m'étais senti trahi par Jimin, j'avais inconsciemment amplifié les informations jusqu'à les rendre insupportables, jusqu'à m'empêcher de lui trouver des circonstances atténuantes. Et à chaque fois que j'y avais repensé, à chaque fois que je m'étais repassé la scène, j'avais activé malgré moi le circuit de la souffrance émotionnelle.

Plus je stimulais ce circuit, plus il devenait puissant.

Résultat : j'en étais venu à diaboliser mon meilleur ami, piégé dans ma détresse, actionnant sans arrêt le bouton qui la nourrissait sans réaliser que le liquide qui l'abreuvait était un véritable poison.

Les pensées négatives avaient activé encore et encore les capteurs de douleur dans mon cerveau, et au bout d'un moment, la souffrance que je ressentais n'était plus directement liée au mal que la révélation de Jimin m'avait infligé, mais à mes propres pensées : c'était moi et moi seul qui me faisait souffrir.

J'étais devenu l'unique responsable du chagrin que je ressentais.

J'ai dit que j'ignorais si mon coeur était prêt à pardonner, mais je savais en tout cas qu'il était en mesure d'écouter et de laisser une chance à Jimin de s'expliquer. J'aurais probablement besoin d'un peu de temps, mais ne mesurait-on pas la puissance de l'amitié à la façon dont nous savions, ensemble, surmonter tous les obstacles ?

PAPER HEART { tk } sous CONTRAT D'ÉDITIONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant