13. adagio

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J'avais beau avoir laissé passer les jours, je ne me remettais toujours pas des regards que monsieur Kim et moi avions échangés lors du spectacle de danse de Jimin et Hoseok. Il y avait chez lui quelque chose d'impénétrable, de troublant, quelque chose qui me remuait fatalement mais dont je ne savais pas déterminer l'origine. S'enchaîner à ses yeux, c'était comme plonger en eaux glacées sans même avoir mal, comme être brûlé vif sans ressentir d'autre brûlure que celle de ses orbes couleur charbon qui me transperçaient tout entier. C'était déstabilisant.

Monsieur Kim était à l'image de sa réputation. Sévère. Passionné. Hivernal et rigoureux. Il était de ces artistes qui ne se mélangent à personne, sûrement pour n'avoir rien à justifier. Moi, j'étais captivé par son aura magnétique. Hypnotisé par sa distance et sa rudesse. Il avait beau être détesté par beaucoup, je lui trouvais quelque chose de mélancolique, comme s'il gardait en lui un océan de secrets qu'il ne partageait pas. Il y avait dans son regard autant de larmes qu'il n'avait peut-être jamais versées.

Je me repassais en boucle la scène de fin de spectacle, lui, si distant au milieu de toute la liesse ambiante, assis quand tout le monde s'était levé comme si rien ne l'avait plus désintéressé que d'avoir dû assister à ce récital. Pourquoi était-il venu si ça lui avait tant déplu ?

Oh.

Il était venu pour soutenir sa petite amie, ça coulait presque de source maintenant que j'y pensais. Je n'avais pas la confirmation de leur lien, mais je sentais que j'étais dans le juste. Elle l'avait embrassé sur la joue, il avait posé sa main sur sa taille. Personne ne faisait ce genre de choses sans être un minimum intime.

Elle était jolie, madame Pankova. Elle dégageait ce je-ne-sais-quoi d'aérien typique des danseurs, une légèreté dans la posture, une élégance dans les gestes. Ils allaient bien ensemble tous les deux, quand bien même ils semblaient totalement différents.

J'eus un pincement au cœur.

— Jungkook, je te parle !

— Hein ? Oh. Oui, maman. Désolé.

— Tu n'écoutes jamais rien, c'est usant.

— J'ai dit désolé.

Ma mère. Au téléphone avec moi pour son coup de fil annuel. Elle avait cru bon de tenter une année de plus de m'inviter à l'anniversaire de mon père. C'était toujours un grand débat, cet anniversaire. Chaque début du mois de janvier, elle me téléphonait pour m'ordonner de venir, affirmant que ça ferait plaisir à tout le monde de me revoir après tout ce temps passé loin d'eux. Mais je savais, tout au fond de moi, qu'en réalité personne d'autre que mes parents n'avait envie de me voir. Je leur manquais, je crois.

À moi, ils ne manquaient pas.

— Viens. Ton père serait content.

— Maman, ce n'est pas la peine d'insister. Je ne viendrai pas plus cette année que je ne suis venu les années précédentes.

— Très bien. Au moins, j'aurais essayé.

Le silence. Aussi lourd que tous ceux que nous partagions désormais. Il n'y avait plus rien entre nous, rien qu'un lien forcé par la génétique, rien qu'un fil ténu que je ne voulais plus maintenir. J'étais leur fils par obligation, mais j'avais choisi de ne plus l'être dans les faits. Nous n'avions plus que des cellules en commun, mais nous avions cessé d'être une famille.

Qu'est-ce qui constitue une famille, d'ailleurs ? Certainement pas la haine, ni le dégoût. Ils avaient depuis quelques années maintenant perdu le droit d'être mes parents dans le cœur, quand bien même ils le demeuraient dans le sang. Ma famille, c'était Jimin et Hoseok. Yoongi faisait sa petite place, et Yejun y avait toujours eu la sienne.

PAPER HEART { tk } sous CONTRAT D'ÉDITIONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant