21. faire la paix

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Je refermai discrètement la porte de la chambre après en être sorti sur la pointe des pieds afin d'échapper à l'écho trop lourd de leur conversation. Je me sentais terriblement mal d'avoir ainsi surpris cet échange, comme si je les avais espionnés malgré moi, comme si j'étais entré sans demander dans une intimité qui ne m'appartenait pas. J'avais découvert trop de choses en l'espace de quelques minutes et mon cerveau peinait à trier les informations.

Mon téléphone toujours en main, je demeurai stoïque et le regard dans le vague, plongé dans des tempêtes d'interrogations qui troublaient soudain l'équilibre de cette journée paisible. Les questions se bousculaient les unes à la suite des autres comme des petites perles qu'on aurait enfilées sur le fil d'un collier, et je cherchais dans le vide des réponses à une réalité qui m'échappait.

Dans l'ombre du couloir dans lequel je me trouvais, un mot, un seul, revenait en boucle :


Greffe.


Il sonnait étrange, presque effrayant, comme une révélation à laquelle je n'avais pas été préparé et qui générait en moi des inquiétudes impossibles à ignorer. Ce simple mot dévoilait à lui seul une fissure chez Taehyung que je n'avais encore jamais remarquée auparavant, une blessure, un fardeau qu'il avait à porter en silence, et c'était dur de l'imaginer souffrir quand ce que je voulais plus que tout était de le voir être heureux.

Il avait subi une greffe.

Mais de quel type ? Et pourquoi ? Soudain, s'imprimèrent sous mon crâne des images floues dépeignant des scénarios trop sombres que je ne parvenais pas à accepter. Sa santé était-elle en danger ?

Putain. Est-ce que c'était grave ?

Je repensai alors à chaque fois qu'il m'avait paru un peu trop fatigué, à ses cernes et à ses traits tirés, à chaque détails que j'avais pu ignorer par inadvertance, probablement trop aveuglé par mes propres démons pour remarquer la souffrance qu'il tentait désespérément de dissimuler.

Greffe.

Ces quelques lettres me faisaient peur sans que je ne parvienne à expliquer pourquoi. Je n'étais pas calé en biologie, mais il ne fallait pas être allé en faculté de médecine pour savoir qu'une greffe était une opération lourde et conséquente. C'était le remplacement d'un organe malade par un autre plus sain, et je me mis alors à me demander quelle partie de lui avait eu besoin de ça. Était-ce son rein, son foie, sa peau, ou autre chose dont je n'aurais jamais soupçonné la fragilité ?

Seul dans l'obscurité du couloir, je serrai mon téléphone entre mes doigts comme pour tenter de centraliser quelque part la colère sourde de l'injustice que j'avais découvert. Personne ne méritait de vivre une telle épreuve. Et plus j'y pensais, plus l'anxiété concernant son état de santé grandissait. D'un coup, tout ce qui s'était tissé entre nous au fil des semaines s'effaça sous la toile grise de l'incertitude. La peur s'était enroulée autour de mon cœur, le pressant de ses griffes invisibles jusqu'à m'en faire étouffer.

Je croyais avoir commencé à découvrir Taehyung, mais au final, je ne savais rien du tout. Je ne le connaissais pas. Yulia, elle, semblait bien plus au courant que moi. C'était normal, en même temps ; ils avaient sûrement partagé beaucoup de choses ensemble, et quand bien même ils ne semblaient plus se comprendre de ce que j'avais compris, elle demeurait un fragment de son univers. Un bout de sa vie. Une parcelle de lui.

— Papy ! Tu me chatouilles !

La voix de la petite Jian me parvint alors, brisant le fil tortueux de mes pensées et me ramenant à une réalité un peu brutale. Comment faire, maintenant, pour regarder Taehyung dans les yeux sans repenser à ce foutu mot ? Comment le côtoyer sans me demander comment il allait ? Comment retenir mon flot de questions de se déverser sur lui ?

PAPER HEART { tk } sous CONTRAT D'ÉDITIONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant