Le concert de Noël avait été à la fois une réussite, et une catastrophe monumentale.
Depuis l'intervention du professeur de violoncelle et sa remarque acide concernant ma fausse note, je ne me focalisais plus que sur ça, me repassant mentalement ma prestation en une boucle infinie. J'avais très bien joué, j'avais même eu la sensation de retrouver un peu de cette verve qui m'avait tant manqué durant trois années, mais je m'étais à la fois lamentablement foiré, qu'on se le dise. Dans un solo, une seule erreur pouvait saboter toute la beauté de ce qui avait été parfaitement exécuté juste avant.
Et tout le monde l'avait entendu.
Tout le monde m'avait entendu me planter.
J'avais bossé très dur durant des mois afin de parvenir à jouer ce solo à la perfection. J'avais travaillé avec une attention toute particulière les nuances, les articulations, les phrasés, j'avais visionné des vidéos sur Youtube pour tenter de percevoir l'émotion du morceau et ce que moi je pouvais en faire, ce que je pourrais apporter en terme d'interprétation et d'émotion, et pour une note, une seule note, j'avais désormais un affreux goût amer au fond de la gorge.
Réaliser que ce prof n'avait remarqué que ça me désarçonnait d'autant plus. Il avait mis le doigt sur le point noir de ma prestation. Il n'avait rien prononcé d'autre, n'avait ni félicité mes efforts, ni notifié que tout le reste avait été irréprochable. Il n'avait parlé que de cette note. Cette putain de note. D'un air froid et impassible, il m'avait ensuite donné rendez-vous après Noël en salle 103.
Et ce jour, c'était demain.
Qu'est-ce qu'il voulait ? Me critiquer ? Me dire que j'avais besoin de cours pour appuyer fort sur ma médiocrité ? Me ridiculiser un peu plus ?
Si sa demande m'avait semblé incompréhensible sur le moment, maintenant, elle me paraissait complètement risible. Qu'attendait-il de moi puisque j'avais été si mauvais ?
Il ne savait rien. Ce type ne savait rien de moi.
Il ignorait à quel point ce concert avait été compliqué à gérer. Il ne savait pas que cette date symbolisait la perte, qu'elle avait un arrière-goût de colère et de mélancolie. Il s'était contenté de mettre l'accent sur cette fausse note comme si tout ne se résumait qu'à ça. Mais que représentait-elle, finalement, quand on savait que j'avais réussi toutes les autres du morceau ?
Cet homme plein de mépris n'avait pas cherché plus loin. Il n'avait rien cerné de ce que j'avais pu vivre pour en arriver là. Il n'avait pas compris de ce que j'avais joué et tenté d'exprimer. Il n'avait pas vu la souffrance.
Il m'avait jugé sur une seule note.
S'il n'avait rien dit, cette petite erreur ne m'aurait pas tant tourmentée. Désormais je ne pensais plus qu'à ça. Plus qu'à lui et sa voix inflexible et pénétrante. Plus qu'à son regard sévère et impérieux. D'un hochement de tête, je tentais de chasser son visage de mes pensées, mais je n'y parvins pas. Malgré sa réflexion désagréable qui ne cessait de me hanter même une semaine après et malgré ma rancoeur, je n'avais pas pu m'empêcher de sentir quelque chose d'unique émaner de ses yeux noirs. Une nostalgie lourde. Une tristesse imprononcée. Quelque chose qui résonnait en moi comme un miroir m'aurait reflété. Il m'avait paru si profondément désabusé derrière sa froideur polaire et son air taciturne que je ne pus m'empêcher de penser que son austérité ne résumait pas sa personnalité. Qu'il y avait autre chose à creuser. Je lui en voulais de m'avoir ainsi humilié, mais j'étais à la fois totalement fasciné. Il avait une aura pleine de mystère. C'était déroutant.
— Aish... pourquoi tu penses à lui !
À voix haute, je lâchais ces quelques mots en me retournant lourdement sur le canapé, avant de saisir mon téléphone sur la table basse après l'avoir entendu vibrer. C'était Jimin.
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PAPER HEART { tk } sous CONTRAT D'ÉDITION
FanfictionDepuis la mort de son petit-ami il y a trois ans, Jungkook survit comme il le peut tout en cumulant travail et orchestre pour se faire un peu d'argent. Violoncelliste de talent, parti de son école de musique avant d'avoir pu y passer son diplôme de...