16. un vrai sourire

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Le trajet jusqu'à chez moi fut un peu long, mais j'avais pris la décision de rentrer à pieds, non seulement pour me remettre de mes émotions, mais aussi pour prendre le temps de me repasser les instants que j'avais passés chez monsieur Kim : ma nuit dans son lit, la photographie sur laquelle il souriait, le repas partagé, et le regard qu'il m'avait lancé quand j'étais parti.

Ça faisait beaucoup d'informations à digérer.

Je réalisais seulement maintenant que j'avais eu l'audace de l'appeler à deux heures du matin, bourré, en sortie de boîte, et que j'avais osé lui demander de l'aide quand bien même nous ne nous connaissions pas. Du moins, pas réellement. Preuve à l'appui : je ne m'étais pas attendu une seule seconde à ce qu'il vienne me chercher, pourtant, il l'avait fait.

Je savais en surface qui il était, ce qu'il acceptait bien de montrer, son acharnement au travail, sa passion silencieuse pour la musique, sa froideur et ses exigences. Je savais qu'il avait une petite amie, qu'il s'était mis à la cuisine, et qu'avant, il souriait encore. Mais au final, il demeurait un grand mystère pour moi.

Je crois qu'on ne connaît jamais réellement les gens tant qu'on n'est pas entré totalement au fond de leur cœur pour en découvrir les côtés les plus sombres. C'est bête à dire, mais il m'avait suffit de voir les pires facettes de Jimin, ses colères, ses peurs et ses doutes, pour avoir une vue plus complète et ne pas me contenter de ce qui était visible (ses rires, et son air sûr de lui). Avoir les informations se trouvant sous la surface avaient été la clé qui déverrouilla toutes les serrures pour que je puisse saisir avec exactitude les reliefs de sa personnalité.

Voir le pire permettait de comprendre et d'apprécier le meilleur.

Cependant, ces choses-là prenaient du temps.

C'était comme amasser des pièces de puzzle jusqu'à reconstituer l'image entièrement. Petit à petit, avec beaucoup de patience. Et bien entendu, c'était bien plus simple de dévoiler les bons côtés de soi plutôt que les mauvais.

Monsieur Kim fonctionnait à l'envers.

Il montrait d'abord le plus obscur, mais le bon en lui n'était accessible qu'aux plus téméraires. Il n'était pas comme il voulait bien le laisser paraître, je le sentais. C'était là, dans un coin de ma tête, comme un vent de curiosité que je ne savais pas calmer. Il semblait garder en lui des secrets si profondément cachés que personne ne pouvait y avoir accès. Il était comme un coffre-fort renfermant mille trésors, j'en étais persuadé. On ne pouvait pas ressentir si bien la musique et être dénué de toute émotion, je me refusais à le croire. Alors, s'il demeurait aussi inabordable, c'était peut-être pour conserver précieusement en lui qui il était vraiment, afin de ne pas se heurter aux jugements, pour se préserver des autres.

Si l'on cherchait ainsi à se garder à distance du monde, n'était-ce pas parce que ce dernier pouvait être trop violent et effrayant comme une mer déchaînée ?

Peut-être que derrière sa froideur se trouvait simplement la peur immense d'avoir mal.

C'était humain après tout. Moi aussi, j'étais comme ça.

Je n'arrivais pas non plus à retirer de mes pensées cette photographie en noir et blanc sur laquelle il m'était apparu sous un jour nouveau. Comment un être si impénétrable pouvait afficher un visage si rayonnant de pureté ? À chaque fois que j'y repensais, mon estomac se tordait dans tous les sens, comme si des milliers de petites bulles éclataient à l'intérieur toutes en même temps. Je m'étais couché avec le souvenir de ce cliché gravé dans mon crâne ; j'en étais bouleversé.

En me réveillant ce matin, j'étais bien. Heureux de savoir que j'allais le revoir, et prêt à en découdre pour mon premier cours chez lui depuis l'annonce de mon inscription au concours. Je lui avais promis que j'allais tout donner, et c'était bien ce que je comptais faire. J'avais mis de côté les déboires de la boîte de nuit, le dégoût du baiser de Siwoo contre mon cou, et j'étais passé rapidement à autre chose. Je me surprenais moi-même, mais pour ne rien vous cacher, la perspective de passer plus de temps avec monsieur Kim effaçait tout, et me plaisait bien plus que je ne pouvais l'admettre. J'avais choisi de mettre de côté le négatif pour me focaliser sur le positif.

PAPER HEART { tk } sous CONTRAT D'ÉDITIONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant