1. salle 104 & souvenirs

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Busan, 21 septembre 2023. De nuit.


Mes pas résonnaient sur le trottoir en frappant les flaques de pluie que je n'évitais même plus. Les lueurs des réverbères zébraient le sol à la manière d'un tableau en clair-obscur, mais je n'y attardai le regard que pour me diriger. Mes foulées étaient décidées, et rien n'aurait su me détourner de mon objectif.

Au moins, la pluie s'était arrêtée.

Comme chaque jeudi de chaque semaine, je me rendais à Kangjon, une prestigieuse école d'art située dans le quartier de Nam-Gu. Je n'y étais plus inscrit depuis trois ans maintenant, mais j'avais sympathisé à l'époque avec Jong Su, le gardien, et il me laissait venir m'y entraîner de nuit, lorsque tout le monde avait déserté les lieux.

Mon instrument sur le dos, je traversai les derniers mètres qu'il me restait à parcourir avant de toquer contre la grande porte vitrée. À l'intérieur, Jong Su, habillé de sa sempiternelle salopette, délaissa son poste afin de venir m'accueillir, sourire aux lèvres.

— C'était ouvert pour toi, mon grand.

Je m'inclinai pour le saluer, et entrai.

— Je préfère toujours m'annoncer, je ne suis plus inscrit ici.

— Peut-être, mais tu y seras toujours le bienvenu !

J'avais passé de longues années à Kangjon, et, considérant ces lieux comme ma seconde maison, ces mots me touchèrent bien plus que je n'aurais su l'exprimer.

Je lui adressai alors mon sourire le plus sincère, puis l'observai retourner derrière l'accueil avant qu'il ne revienne en me tendant une clé.

— La 104, comme toujours ?

— Merci, monsieur.

Il laissa éclater un rire communicatif, m'ébouriffant les cheveux.

— Je t'ai dit un milliard de fois de m'appeler Jong Su, Jungkook !

Je lâchai un soupir désolé.

Me fixant, attendri, il finit par lancer son menton mal rasé vers l'avant.

— Tu veux toujours la 104 parce que c'est celle qui se trouve à côté de la salle de violoncelle, je me trompe ?

— Je n'ose pas prendre la salle de cours.

En réalité, ce que je ne disais pas, c'était que la 104 était la salle que nous empruntions toujours à l'époque, Yejun et moi, pour travailler nos morceaux.

Elle avait une valeur sentimentale.

— C'est surtout que je ne peux pas te la laisser, le nouveau prof y traîne aussi de nuit. Mais dans la 104, il y a un canapé, c'est confortable pour faire des pauses. Quoi que, tu ne dois pas faire de pause, toi.

Il avait raison. Je ne savais pas me reposer. Depuis que j'étais parti de chez mes parents, j'avais dû apprendre à me débrouiller seul : trouver un travail, rejoindre un orchestre amateur et parfois, quand les occasions se présentaient, donner des cours particuliers.

Venir à Kangjon était mon seul plaisir de la semaine.

— Je n'ai pas le temps pour ça...

— Alors file, sans quoi tu vas encore rentrer tard chez toi. Tu as de quoi manger au moins ? Tss... tiens.

Il fourra sa paume dans sa poche, et en sortit trois billets de dix mille wons qu'il me tendit. Je refusai d'un geste poli de la main.

— Je ne peux pas accepter.

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