12. lettre & danse

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Elle était posée là, sur la table basse, et moi, je la fixai comme s'il s'agissait d'une grenade dégoupillée. Assis sur le canapé, coudes sur les genoux et mains nouées sous mon menton, je respirai si lentement que j'avais la sensation d'être en apnée. Doucement, je déliai mes doigts pour tendre un bras afin de me saisir de ce papier que j'avais déjà bien trop lu. Cela me fit pourtant le même effet que lorsque je l'avais découvert pour la première fois. Sur la lettre, y étaient rédigées les salutations d'usage, suivies de ces simples mots : « votre inscription au concours d'entrée à Kangjon a bien été prise en compte ». Au-dessous, la date et l'heure du concours, ainsi qu'un paragraphe stipulant que le morceau à présenter était au choix, et ne devait pas excéder huit minutes.

Votre inscription au concours d'entrée à Kangjon

a bien été prise en compte.

Interdit, je reposai la lettre avant de la fixer à nouveau, sans comprendre. Mon inscription au concours ? C'était quoi cette blague ? Je ne m'étais pas inscrit !

Je récupérai à nouveau le morceau de papier pour le relire, encore, comme si les onze fois précédentes n'avaient pas suffit, puis je me laissai aller en arrière contre l'assise du canapé en lâchant un soupir incrédule.

J'ai commencé à étudier à Kangjon lorsque j'avais cinq ans. L'éveil durait deux ans, et consistait principalement à nous faire découvrir la musique, à moi et à quelques enfants de mon âge. Nous écoutions des morceaux de classique avec le professeur, découvrions les instruments grâce à des intervenants, et pouvions même les essayer parfois. Nous étions éveillés au rythme et aux notes, sans jamais réellement entrer dans des détails trop théoriques. À sept ans, j'ai débuté le violoncelle ainsi que la formation musicale, autrement dit, le solfège. À Kangjon, les études sont réparties en cycles, et chaque cycle comprend quatre années. À la fin de chaque cycle, se tient un examen qui permettait de juger de la capacité de l'élève à passer au cycle suivant. C'est ainsi que je me suis retrouvé à l'âge de seize ans en toute dernière année d'étude apres avoir sauté deux ans à la force de mon travail. Il ne me restait qu'un examen à passer. Le tout dernier. On appelle ça la médaille, un peu comme aux Jeux Olympiques. C'est prestigieux. C'est redouté. C'est envié. Être médaillé d'or de Kangjon, c'est de belles opportunités de carrière, et cela m'aurait ouvert les portes des meilleures écoles de musique de Séoul, à n'en pas douter. Cependant, ce fut à cette période que mes parents apprirent pour Yejun et moi, et que le climat à la maison se dégradait à vue d'œil. Pour me punir de ma relation, ils ont arrêté de payer mes cours, et j'en fus fatalement dévasté. Je vivais pour Yejun, mais je vivais également pour la musique. Ils me privèrent des deux.

Je n'ai pas pu passer mon examen final. Je n'ai jamais obtenu ma médaille. Le souci, c'est que lorsque vous partez de Kangjon, le seul moyen d'y revenir est de passer un concours d'entrée. Seulement, si par chance vous étiez accepté, il fallait payer l'année scolaire, et je n'avais pas l'argent pour ça. Alors, en relisant pour la treizième fois cette foutue lettre, je fronçai les sourcils.

Qui m'avait inscrit ?

Immédiatement je pensai à Jimin. Nous en avions parlé, quelques jours avant. Je lui avais fait part de mon besoin de passer ma médaille, d'avoir enfin ce sésame tant convoité. J'avais craché sur l'arrogance et la chance que Laurent avait de passer le concours, mais il n'y eut rien, dans son discours, qui m'avait fait supposer qu'il me cachait quelque chose. Je le connaissais suffisamment pour savoir reconnaître les inflexions de sa voix; Jimin ne savait pas mentir. Quand nous étions petits, les seules fois où il avait tenté de me cacher des choses s'étaient soldées soit par un aveu de sa part, soit par un fou rire de la mienne. Il était trop honnête et transparent pour savoir dissimuler quoi que ce soit. Si mon inscription au concours était de son fait, il avait très bien joué cette fois, car je n'avais rien remarqué.

PAPER HEART { tk } sous CONTRAT D'ÉDITIONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant