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50 ⚜️ Deuil

Je fais sans cesse le même cauchemar.

Je suis là, agenouillée dans une mare de sang dans laquelle je m'enfonce petit à petit... Et plus je coule, plus je m'éloigne de Jarvis, agonisant dans l'herbe.

Il me supplie de le sauver et je me noie dans sa douleur.

Toutes les nuits, je me réveille en hurlant et je pleure jusqu'au matin. Toutes les nuits depuis que c'est arrivé...

Et ça fera bientôt dix jours.

-Je t'en prie... soupire Marlon. Il faut que tu manges... Sinon, tu vas retourner à l'hôpital.

Recroquevillée dans mes draps, je fixe le jour s'enfuir par la fenêtre, sans rien dire. Je crois que je n'ai pas réussi à prononcer la moindre phrase depuis mon retour en Angleterre.

Jarvis est mort.

C'est la seule chose qui soit sortie de ma bouche lorsque j'ai croisé Paola avant d'être rapatriée.

Ma mère est dévastée, mon père est aussi impassible que d'ordinaire. Pour lui, ce n'est rien de plus qu'un contre-temps dans ses plans futurs. Je n'arrive pas à me mettre en colère, je suis juste... En fait, je ne suis rien. C'est comme si mon âme s'était échappée de mon corps pour rejoindre la sienne.

Dans deux jours, les enquêteurs reviendront me poser des questions avec l'espoir que je sois redevenue bavarde pendant leur absence... C'est peine perdue. Comment suis-je censée articuler le moindre mot? Jamais... Jamais je n'y arriverai.

Et pour dire quoi, de toute façon?

«C'est Finn Clark. Le bourreau de la mafia, le type qui veut me tuer! C'est lui qui a fait ça!»

Ils ne comprendront pas que je sois au courant de son existence. Si Kyle est en vie, il aura des problèmes.

J'ai envie de croire qu'il l'est... De tout mon être... Mais la tempête a laissé place au vide. Et si je devais me jeter d'une falaise ou d'une fenêtre... Ça ne me ferait même pas ciller.

-C'est ta soupe préférée... insiste mon frère d'une voix inquiète.

Il n'y a que lui qui me rend visite, comme d'habitude. Tous les jours, il passe plusieurs heures avec moi et m'oblige à regarder des films stupides où tout le monde est heureux.

Il me parle de sa vie, de son imminente rentrée au lycée, de ses nouveaux amis à Oxford. Il va déménager et habiter dans la même ville que moi pour ses études.

Il parle de tout et de rien en espérant que je réagisse ou que je réponde. Il demande au chef de préparer mes plats préférés dans l'espoir que je mange...

Je ne sais pas si je mérite autant d'attention de sa part. Ça me fait du bien, d'une certaine manière.

-Tu veux quelque chose en particulier? demande-t-il. Si tu ne veux pas parler, tu n'as qu'à m'envoyer un message.

J'hoche la tête.

Mon regard dérive vers tous les bouquets de fleurs et tous les cadeaux funestes que les gens déposent pour moi en guise de soutien. Ma mère les fait monter à ma chambre parce qu'elle croit que ça me fait du bien... En réalité, c'est encore pire. Je dois sans cesse me confronter à ce souvenir.

Dans quelques jours, mon père perdra patience et viendra me secouer en m'obligeant à déballer tout ce que je sais.

J'attrape mon portable sur la table de nuit et écris à mon frère que je veux faire retirer toutes les fleurs de ma chambre.

-Je vais demander aux employés de venir enlever tout ça, répond-t-il.

Il pose le plateau-repas sur le bureau avant de quitter ma chambre. Le silence me berce et par moment, j'ai l'impression que mon lit tangue de droite à gauche comme un bateau.