La Guerre des Clans : Destins Croisés

Chapitre 10 : Quand la Colère Couve

L'annonce du couple que formaient à présent Nuage d'Argent et Pelage de Lion choqua tout le Clan, à l'exception de la bande d'amis des deux concernés. Pelage de Gland avait particulièrement mal pris la chose, boudant la femelle blanche pendant une bonne semaine. Mais il était si éperdument amoureux d'elle qu'il finit par céder à sa compagnie ; cela déplaisait fortement à Pelage de Lion, qui prenait un malin plaisir à interrompre les moments que partageaient sa compagne et le matou noir. Pelage de Gland était un sujet de discorde récurrent entre Nuage d'Argent et Pelage de Lion ; mais la soeur de Nuage de Cendre ne se  résolvait pas à mettre un terme à leur relation.

Le nouveau binôme était aussi passionnel qu'explosif : lorsqu'ils se retrouvaient après une énième dispute, c'était pour roucouler de plus belle !

« - Vous êtes épuisants à suivre, leur ronronna Nuage de Châtaigne.
- Je suis hyper facile à vivre, c'est Pelage de Lion qui complique tout, provoqua malicieusement Nuage d'Argent.
- Mais bien sûr, rétorqua son compagnon en lui attrapant l'oreille.
- Pitié, allez faire ça ailleurs, railla Nuage de Noisette.
- Heureusement qu'il y a au moins un couple ici qui ne fait pas de vague, miaula Coeur d'Aube en frottant sa tête contre le flanc de Nuage de Cendre. »

Nuage de Châtaigne se crispa instantanément. Elle prétexta un entraînement avec son mentor Coeur de Glouteron et s'enfuit sans demander son reste. Nuage d'Ajonc la suivit du regard, peinée de la situation. Elle croisa les prunelles impénétrables de Nuage de Rose, la soeur de Coeur d'Aube. L'apprentie guérisseuse était de loin la moins bavarde du groupe ; c'était une redoutable observatrice, qu'il était difficile de duper.

Nuage d'Ajonc détourna les yeux, mal à l'aise. Coeur d'Aube n'avait pas perdu une miette de la réaction de Nuage de Châtaigne. Elle n'avait jamais affiché d'animosité particulière envers sa cadette, se montrant aussi chaleureuse et enjouée qu'avec n'importe quel autre de ses amis ; les deux chattes auraient sans doute été comme larrons en foire dans d'autres circonstances. Mais dès qu'il était question de Nuage de Cendre, tous les coups étaient permis : Coeur d'Aube adressait de discrètes piques et allusions à Nuage de Châtaigne, que le mâle gris ne percevait pas.

Comment lui en vouloir ? Elle aimait sincèrement le frère de Nuage d'Ajonc, cela se voyait. Nuage de Châtaigne était autant une bonne camarade qu'un obstacle aux yeux de Coeur d'Aube ; cela complexifiait tout !

Nuage d'Ajonc prit congé de ses amis pour aller chasser. La réserve de gibier n'était plus aussi haute qu'il y a un quart de lune, et il était hors de question que qui que ce soit pâtisse de la Saison Dure. Aiguille d'Ifs avait annoncé qu'elle rejoignait la Pouponnière à son tour ; le Clan du Tonnerre ne pouvait se permettre de relâcher ses efforts !

La femelle blanche et grise tigrée se mit aussitôt sur la piste d'un merle. Elle galopait à vive allure, savourant le vent frais dans ses poils courts et serrés. Elle ralentit en se sentant observée ; c'est en jetant un rapide coup d'oeil derrière elle qu'elle se rendit compte qu'elle était elle-même la proie de quelque chose !

Nuage d'Ajonc reprit sa course, poussée cette fois-ci par la peur. L'odeur qui envahit ses narines ne laissait pas de place au doute : elle était poursuivie par un chien. Il avait dû échapper à la surveillance de ses Bipèdes... L'apprentie bicolore en avait déjà croisé en patrouille ; les canidés étaient généralement liés à leurs maîtres par de longues lianes. Il suffisait alors de se faire petit, et l'étrange cortège passait son chemin. Mais cette fois-ci, rien ne retenait la bête, qui semblait déterminée à plonger ses crocs dans la fourrure de Nuage d'Ajonc.

La femelle blanche et grise commençait à fatiguer. Son attaquant était plus grand qu'elle, il faisait une foulée là où elle en faisait deux. Nuage d'Ajonc décida donc de faire face. Elle pivota sur elle-même avec un cri guerrier, et griffa sauvagement la truffe du chien. L'arrière-train de celui-ci s'affaissa par terre, plus par surprise que par douleur. Il reprit rapidement ses esprits et tenta de saisir Nuage d'Ajonc par la tête. La jeune chatte l'esquiva habilement, et le chargea de nouveau. Elle était moins bonne combattante que Nuage d'Argent et Nuage de Cendre, mais ne comptait pas se laisser abattre pour autant. Elle en verrait d'autres !

Soudain, un félin tigré surgit des fourrés et s'agrippa aux flancs de l'attaquant de Nuage d'Ajonc. Apeuré par cette nouvelle arrivée, le chien préféra rejoindre son Bipède - qui l'appelait au loin. Nuage d'Éclair, car c'était bien lui, se pressa contre Nuage d'Ajonc :

« - Est-ce que ça va ? Es-tu blessée ?
- Non, je n'ai rien, le rassura la femelle bicolore en lui léchant l'épaule. Heureusement que tu étais dans les parages, même si j'aurais... »

Elle s'interrompit brusquement, réalisant que la présence de Nuage d'Éclair n'avait rien de hasardeuse.

« - Tu... M'as suivi ?
- Oui, avoua le matou en regardant ses pattes.
- Tu me pistes à chaque fois que je sors seule ?
- Je voulais seulement te protéger, se défendit Nuage d'Éclair. Et vu ce qu'il s'est passé aujourd'hui, j'avais raison ! »

L'indignation de Nuage d'Ajonc, qui couvait depuis plusieurs lunes, éclata à ce moment précis :

« - Mais pour qui te prends-tu ?! Je suis plus âgée et expérimentée que toi, tu me penses aussi fragile qu'un nouveau-né ? Je n'ai pas besoin qu'on veille sur moi ! Et si je devais avoir une garde rapprochée, je ne prendrais pas un apprenti qui vient de sortir de la Pouponnière pour cette tâche ! »

Nuage d'Éclair recula d'un pas, comme si son amie l'avait griffé. Il était si rare de voir Nuage d'Ajonc sortir de ses gonds que ses éclats de voix n'en étaient que plus tranchants, ses paroles plus virulentes. Le visage de Nuage d'Éclair se durcit, et il conclut d'un ton glacial :

« - Ça a le mérite d'être clair. Je ne t'importunerais plus à l'avenir.
- Parfait, je n'en demandais pas plus ! »

Et les deux novices se séparèrent fâchés pour la première fois, tellement remontés l'un contre l'autre qu'ils ne prononcèrent pas un mot de la soirée.