La Guerre des Clans : Destins Croisés

Chapitre 9 : Point de Non-Retour

« - Peux-tu m'expliquer ce qui t'arrive ? »

Nuage d'Argent releva lentement la tête de son repas, affichant une mine indifférente soigneusement travaillée.

« - De quoi parles-tu ?
- Ne fais pas ta cervelle de souris, rétorqua Pelage de Lion en agitant la queue. Tu m'évites depuis deux aubes !
- Et il te faut deux aubes pour t'en rendre compte ? siffla Nuage d'Argent, perdant toute contenance.
- Je n'allais pas te sauter dessus à la première sortie oubliée, se défendit le guerrier brun.
- "Oubliée" ? répéta Nuage d'Argent, outrée. Tu étais trop occupé à faire les yeux doux à Poil de Girofle, plutôt ! »

Pelage de Lion en resta bouche bée. La femelle blanche attendit sa réponse, le sang battant furieusement contre ses tempes. Sa réaction la froissa au plus haut moins : le matou se mit à ronronner, les yeux moqueurs.

« - Tu m'en veux parce que j'ai discuté avec notre lieutenante ? Après une patrouille ? C'est une plaisanterie ?
- Si tu trouves ça amusant, grand bien te fasse, cracha Nuage d'Argent en s'éloignant, bien plus blessée qu'elle ne l'aurait avoué.
- Attends, je ne voulais pas...
- Lâche-moi la fourrure ! »

Nuage d'Argent rejoignit Pelage de Gland, qui l'attendait à l'entrée du camp. Son air triomphal était horripilant ; Pelage de Lion lui montra les crocs sans un bruit, avant de s'isoler dans la Tanière des Guerriers.

Nuage d'Ajonc rentra quelques minutes plus tard, un lapin dans la gueule. C'était sûrement le dernier qu'elle attrapait avant de nombreuses lunes ; chaque guerrier qu'elle croisait la félicitait pour sa prise. L'apprentie blanche et grise tigrée avait pris l'habitude de partir chasser en solitaire : elle adorait se retrouver seule avec ses pensées et les bruits de la forêt.

« - Où étais-tu passée ? s'enquit vivement Nuage d'Éclair, ce qui décontenança Nuage d'Ajonc.
- J'étais partie chasser, pourquoi ?
- Toute seule, j'imagine...
- Eh bien oui ! Il y a un problème ?
- Ce n'est pas prudent, rétorqua Nuage d'Éclair. Si tu fais une mauvaise rencontre...
- Je peux me défendre, tu sais, le coupa gentiment Nuage d'Ajonc malgré son agacement.
- Tu penses faire le poids face à une patrouille ennemie ?
- Qu'est-ce que des guerriers d'un autre Clan ferait au beau milieu de notre territoire ? soupira Nuage d'Ajonc, qui ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel.
- On ne sait jamais, répondit Nuage d'Éclair, la queue battante. Écoute, je m'inquiète simplement pour toi, reprit-il plus doucement en pressant son museau contre celui de la chatte tigrée.
- Je le sais bien, ronronna Nuage d'Ajonc, toute irritation envolée. Mais tes craintes ne sont pas justifiées. En cas d'invasion, je me replierais immédiatement au camp pour prévenir Étoile de Laurier. Je ne suis pas assez sotte pour tenir tête à cinq félins toute seule ! »

Elle fit glisser sa queue sous le menton de Nuage d'Éclair, taquine, et cela acheva de détendre l'atmosphère.

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Trois aubes passèrent avant que Nuage d'Argent ne daigne adresser de nouveau la parole à Pelage de Lion - et c'était uniquement parce que Nuage de Cendre, excédé par son comportement, lui avait fait la morale !

Elle accepta à contrecoeur de partir chasser avec le mâle brun. La femelle immaculée se montrait aussi glaciale que la poudreuse qui craquait sous leurs pattes. Pelage de Lion tenta deux ou trois fois de lancer la conversation, sans succès. Ils se dirigèrent machinalement jusqu'à la Clairière du Lion d'Argent ; Pelage de Lion décida de crever l'abcès, conscient que la chatte blanche resterait muette comme une carpe jusqu'à ce qu'il fasse le premier pas :

« - On pourrait entrer dans le vif du sujet, qu'en penses-tu ?
- Je n'ai rien de plus à ajouter par rapport à la dernière fois, maugréa Nuage d'Argent.
- Bon, cette fois ça suffit ! »

Pelage de Lion fit face à la novice, la nuque hérissée.

« - Tu ne vas pas me reprocher toute ma vie d'avoir parlé à Poil de Girofle !
- Ce n'était pas qu'une discussion amicale, même moi je l'ai senti de là où j'étais !
- Ce n'est pas de ma faute si Poil de Girofle a ronronné à ce que j'ai dit ! Je ne me souviens même pas de quoi on parlait, soupira le mâle brun. C'était sans importance !
- Si ça n'en a pas pour toi, que veux-tu que je te réponde ? feula amèrement Nuage d'Argent, qui était si ébouriffée qu'on aurait dit une boule de neige.
- Tu es bien placée pour parler, qu'est-ce que je devrais dire de ta proximité avec Pelage de Gland ?! s'énerva à son tour Pelage de Lion.
- Ce n'est qu'un ami !
- Lui ne te voit pas comme cela, et tu le sais très bien ! Qu'est-ce que je suis censé faire ou dire pour que tu comprennes que je tiens à toi ?! »

Surprise, Nuage d'Argent releva ses prunelles noisette sur Pelage de Lion. Celui-ci semblait aussi embarrassé que déterminé, à présent.

« - Tu... Tu es extrêmement importante à mes yeux. Tu m'as beaucoup manqué ces derniers jours.
- Toi aussi, avoua la femelle immaculée d'une petite voix, le ventre papillonnant. »

La voir ainsi dans ce paysage à couper le souffle, aussi éclatante que la neige elle-même, donna le courage à Pelage de Lion de continuer :

« - Il n'y a que toi. Quand je me réveille, quand je chasse, quand je patrouille... Tu ne quittes jamais mes pensées. Je t'aime, Nuage d'Argent. »

Le coeur de la novice explosa de joie à ces mots. Elle se frotta au mâle brun en ronronnant, électrisée par son odeur et le contact de son corps. Pelage de Lion lécha la joue de Nuage d'Argent ; son regard irradiait de bonheur.

« - J'ai si souvent rêvé de ce moment, confessa-t-il à voix basse, lové contre sa nouvelle compagne.
- Alors... Tu ne ressens rien pour Poil de Girofle ? s'assura Nuage d'Argent. Elle a pourtant tout pour elle...
- C'est vrai. »

Ulcérée, la femelle blanche s'écarta de Pelage de Lion ; sa mine moqueuse la fit ronronner malgré elle, et elle le poussa de la patte.

« - Rappelle-moi de lui faire passer le message à notre retour, miaula-t-elle, narquoise.
- Je n'y manquerais pas ! »

Les deux tourtereaux se chamaillèrent le reste de l'après-midi, profitant du soleil radieux qui semblait célébrer leur idylle naissante.