La sonnerie retentit dans l'enceinte du lycée, les étudiants fermèrent leurs trousses dans un son commun et s'empressèrent d'engouffrer leurs affaires au fin fond de leurs sacs. Thomas sentit son estomac se tordre de cette délicieuse appréhension, d'un sentiment dangereusement bon. Il jeta un œil à son professeur en papillonnant des cils, l'observa ranger soigneusement ses cours dans sa mallette en cuir, le regard caché par les mèches blondes qui ondulaient le long de son front aussi blanc que la porcelaine.
« Tom, tu manges à la cafétéria ? demanda Minho alors qu'il enfilait une lanière de son sac sur son épaule.
— Je vous y rejoindrai plus tard. Je dois parler au prof. »
Le garçon répondit par un grognement dubitatif, n'attendant pas plus longtemps avant de rejoindre leur groupe d'amis marchant déjà en direction des casiers. La classe se vida rapidement, les chaises rangées de travers, les résidus de gommes sur les tables et les papiers abandonnés au sol semblèrent perdre leur joie excitante et vivante aux yeux de Thomas, dépassé par le silence si soudain qu'avaient laissé les élèves derrière leur passage. Il alla doucement jusqu'au bureau de son professeur, celui-ci ne le remarqua que lorsqu'il s'éclaircit légèrement la voix.
« Edison. Avez-vous encore des questions ? »
Thomas frémit de plaisir à l'écoute de son timbre grave et soyeux, presque onctueux, flexueux, qui le caressait d'une distance chaleureuse, fermement lointaine.
« Je me demandais comment vous vouliez que nous présentions l'évaluation finale... introduisit Thomas, mais l'adulte le coupa bien vite par un claquement de langue.
— Vous avez passé les trois derniers cours à me questionner à ce sujet. Je crois bien que vous savez tout ce que vous devez savoir.
— Oui, mais... réfléchit-il pour contredire. Je me perds parmi toutes ces consignes.
— Toutes ces consignes ? releva-t-il, haussant un sourcil. Il suffit de faire une dissertation complète sur la poésie d'Emily Dickinson, bien évidemment, entièrement en anglais. Nous travaillons sa littérature depuis le début du trimestre. Il n'y a rien d'autre à comprendre, Thomas.
— Oui, mais...
— Vous êtes quelqu'un de brillant, je sais que vous ne vous tenez pas ici devant moi pour récolter de simples précisions sur ce que vous savez déjà bien trop. Que voulez-vous réellement, Edison ? »
Thomas esquissa l'ombre d'un sourire, sûrement trop pris par l'heureuse excitation qui grimpait dans son cœur pour assumer entièrement sa présence.
« Rien, professeur. Je m'assure d'avoir compris le sujet, voilà tout.
— Eh bien... malgré votre inattention durant les classes et vos regards rêveurs, vous avez obtenu d'excellentes notes jusqu'ici, vous avez dépassé chacun de vos camarades. Vous n'avez pas à vous assurer de quoi que ce soit.
— C'est de votre faute, si je suis inattentif à vos paroles.
— Je ne vous intéresse donc pas ? fit-il d'un rire sarcastique.
— À l'inverse, vous m'intéressez trop. Il est dur de se concentrer sur Dickinson lorsque vous vous tenez sous mes yeux.
— J... Je vous demande pardon ? bredouilla-t-il après un instant de silence.
— Ne jouez pas l'étonné, monsieur Isaac. Je vous vois triturer votre lèvre dès que vous me regardez, je vous vois aussi m'admirer minutieusement lorsque je travaille. Vous savez qu'il y a des rumeurs à propos de nous ?
— Des... Des rumeurs...? blanchit l'adulte, reculant son dos tandis qu'il agrippait les bords de son bureau.
— Toute la classe murmure derrière notre dos lorsque vous vous penchez par-dessus ma table pour m'expliquer je ne sais quelle allitération que je n'aurais su repérer, c'est l'exacte même chose lorsque vous m'interrogez en me dévorant des yeux.