Chapitre 1

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Cette nuit-là aurait dû être comme les autres. Une même patrouille, dans le même secteur, avec le même équipier. Un travail de routine qui était devenu mon quotidien depuis cinq ans : les sans-abris avinés brayant sous les fenêtres qui jetaient un regard torve à notre véhicule ; les prostituées, clope au bec et talons aiguilles aux pieds, qui se planquaient dans les allées ou se rencognaient sous les porches des bâtiments à notre passage ; leurs clients qui ralentissaient devant les coins connus et s'empressaient d'accélérer l'allure dès qu'ils s'apercevaient de la présence de policiers ; les fanfarons du volant qui profitaient des longues rues du quartier en ligne droite pour rentrer à toute berzingue après une soirée bien arrosée, à peine conscients de la voiture bleu acier qu'ils croisaient jusqu'au moment où les lumières tournoyantes de la sirène illuminaient l'habitacle ; les travailleurs nocturnes courageux, les mains dans les poches de leur manteau, qui se mouvaient dans les ombres du paysage urbain enténébré, que seuls venaient éclairer de loin en loin des réverbères aux lumières tremblotantes. La liste des créatures nocturnes rôdant dans le quartier était longue.

Et puis, il y avait les autres. Ceux qu'on ne voyait pas, derrière les rideaux ou les volets, dans les arrière-cours ou les terrains vagues invisibles depuis la route, sans risque d'être pris en flagrant délit, qui menaient à bien leurs petits trafics.

La même rengaine. Le même ennui.

Mais pas cette nuit.

Un frisson d'excitation me parcourut l'échine. Cette fois-ci, la donne avait changé. Il était temps de me rendre plus utile, de rompre la monotonie du train-train quotidien pour plonger dans l'univers de mes modèles, ceux qui faisaient un vrai boulot de flic.

J'étais donc là, à l'affût, près d'une porte métallique fermée. Mes deux mains moites serraient mon arme réglementaire, un pistolet Brone de calibre 9 mm. La voiture de patrouille, elle, était à l'arrêt, les pneus mordant le trottoir à quelques mètres de ma position, tandis que mon équipier s'était éloigné pour vérifier l'angle de la rue.

Bam bam.

Je sentais mon cœur cogner dans ma poitrine.

La tentation était trop forte.

Ne pouvant me retenir davantage, je tendis une main fébrile vers la poignée. Au même instant, la porte s'ouvrit avec fracas. Prise au dépourvu, je fus projetée en arrière et m'effondrai sur le goudron. Dans ma chute, je lâchai mon arme, qui alla rouler hors de portée. Vêtu d'un costume gris, un homme bedonnant surgit dans l'embrasure, manifestement aux abois.

Encore...

Alors que des cris se faisaient entendre à l'intérieur du bâtiment, ses yeux balayèrent frénétiquement les environs. Une lueur dangereuse s'alluma dans son regard quand il vit le pistolet, et il se précipita dessus. L'instant d'après, l'homme me relevait brutalement en m'empoignant par le bras et se glissait dans mon dos, le canon de l'arme enfoncée sur ma tempe.

Bam bam bam.

Les coups tambourinaient, plus nombreux.

Il n'y avait plus d'excitation. Seulement une peur maladive, instinctive, qui laminait les entrailles de la jeune policière que j'étais.

— Les clés ? Où sont les clés ? postillonna-t-il à mon oreille.

Je désignai une poche de mon uniforme d'un doigt tremblant.

L'homme me fouilla sans ménagement et s'empara de ce qu'il cherchait. Il recula ensuite jusqu'à la portière conducteur en m'entraînant, les yeux fixés sur l'endroit d'où il avait jailli.

Comme s'il s'y attendait, une ombre se découpa dans l'embrasure et un deuxième homme fit son apparition.

Non, pas encore...

Le prix du passéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant