Chapitre 2

28 2 3
                                    

Avant de m'attaquer aux braquages mentionnés par Margot, j'avais un petit rituel à accomplir. Comme tous les lunis matins, je commençais la huitaine par un déplacement en centre-ville où je passais en général la matinée au bureau. J'en profitais pour mettre à jour mes dossiers, vérifier répondeur et courrier depuis mon dernier passage et assurer une permanence de quelques heures au cas où quelqu'un souhaiterait me payer une visite.

Je m'efforçais de consacrer trois demi-journées par huitaine à ce local loué sur les conseils de Margot. Lorsque j'étais prise par une ou plusieurs affaires, cela m'offrait une forme de respiration et me permettait de me poser pour réfléchir. À l'inverse, en période de vaches maigres, l'ennui pointait rapidement le bout de son nez quand il n'y avait rien d'autre à faire que d'attendre un coup de téléphone ou un coup à la porte.

Voilà pourquoi je ne tenais pas à y faire acte de présence trop souvent : ma réputation s'était surtout construite dans la basse-ville et j'avais plus de chances de dégoter un nouveau client près de chez moi qu'en centre-ville, où je n'étais qu'une anonyme parmi des milliers d'autres.

Cependant, Margot avait raison sur un point : mélanger vie privée et vie professionnelle présentait un risque pour un détective. À l'heure actuelle, le taux d'affaires que j'obtenais via ce bureau montait péniblement à 30 %, tout le reste se décrochant à mon domicile. C'était encore loin d'être équilibré, mais j'y travaillais du mieux que je pouvais.

Comme d'hab', la circulation était exécrable pour se rendre sur le continent. La route de l'isthme ne comportait qu'une seule voie dans chaque sens, et la municipalité n'avait jamais songé à l'agrandir. Dans sa stratégie de relocalisation de la ville dans les terres, elle laissait intentionnellement la situation pourrir afin de pousser les habitants à déménager et abandonner la Simargue historique.

Après plus d'une heure dans les bouchons, je parvins à atteindre la bordure du centre-ville et cherchai une place près de mon immeuble. Comme il était dix heures passées, tous les emplacements de stationnement étaient pris aux alentours et je pestai un bon coup.

Fais chier, je vais devoir me garer à perpète...

Mon intuition ne me trompa pas, puisque je finis par insérer ma Méliane, une vieille berline Michelet vert foncé de 175, dans une place à une borne du bureau. Mon immeuble était un magnifique bloc de béton de dix étages couleur crème, construit vingt ans auparavant. Il abritait principalement les locaux d'entreprises pas assez riches pour s'implanter plus près du cœur moderne de Simargue, ainsi qu'une poignée de logements. Quant à moi, j'avais réussi à signer un bail d'un an renouvelable pour un cagibi de neuf mètres carrés, un ancien local d'entretien reconverti en surface louable afin de rentabiliser au maximum l'espace disponible.

Et encore, Margot a dû me servir de garante, le proprio voyait d'un mauvais œil l'arrivée d'une privée qui gagne trois lanstrois six sous...

J'ouvris ma boîte aux lettres dans le vestibule et examinai le courrier : de la pub' et un avis de loyer. On n'était même pas le 1er du mois que je recevais déjà la facture. Ça aimait râler pour un rien, mais quand il fallait faire raquer son locataire, en revanche, on envoyait une jolie lettre avec en-tête dès le 25 du mois précédent.

Une fois sur deux, l'ascenseur était en panne et j'étais apparemment à court de veine ce matin. Après quatre étages à pied, je m'arrêtai devant une porte où j'avais accroché un écriteau qui indiquait sobrement : « Rachelle Vermagnin — Détective privée », suivi d'un numéro de téléphone. En entrant, je tâtai le mur à ma gauche et appuyai sur l'interrupteur. L'ampoule qui pendait du plafond était enveloppée dans un joli lampion rond et blanc que j'avais dégoté dans une brocante.

Le prix du passéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant