Chapitre 30

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Si je croyais être tirée d'affaire, je me fourrais le doigt dans l'œil jusqu'au trognon. L'irruption de la police dans notre affrontement contre les Crocs de fer nous sauvait la mise, ouais, mais tout en nous mettant sacrément dans la sauce. Nos agissements récents ne semblaient avoir aucun secret pour la cohorte de types en uniforme qui investissaient les lieux.

Une fois certains que nous étions indemnes, nos anges gardiens se déployèrent et s'occupèrent des victimes. Le type qui nous avait adressé la parole était le chef de la troupe et se présenta comme le commandant Dalprat de la Brigade de lutte contre le banditisme, autrement dit l'une des huiles de l'Antigang en personne. Pendant qu'il dirigeait les opérations, il ordonna à deux de ses hommes de nous escorter jusqu'à des voitures différentes et nous conseilla de rester sages jusqu'au départ.

De plus, avant de nous laisser, il exigea que nous lui remettions nos armes. « À des fins d'analyse pour reconstituer au mieux la fusillade », qu'il disait...

Je m'exécutai en grommelant, privée désormais de mon meilleur moyen de défense. D'un autre côté, en si bonne compagnie, je n'étais plus censée risquer grand-chose.

Ouais, en théorie...

Après ce qui venait de se passer, j'avais quand même du mal à me relâcher. Don me pressa doucement la main et nous échangeâmes un bref regard avant d'emboîter le pas aux flics qui héritaient de notre garde.

Je sais pas quand on se reverra...

Rien que d'y penser, ça me déprimait.

Assise à l'arrière d'une des grosses bagnoles de l'Antigang, je regardai sans grand entrain la brigade s'affairer dans le périmètre. Plusieurs agents étaient agenouillés auprès de Maxime Chappelle, dont l'absence totale de réaction me noua les entrailles.

Et s'il avait pris une balle perdue ?

Un sort profondément injuste, et une sortie de scène imméritée, quoique non sans ironie, pour un meurtrier. La justice, la vraie, se devait de prononcer sa sentence et de décider par elle-même s'il mourrait ou non pour ses actes.

J'espérais qu'il était seulement tombé dans les vapes.

D'autres policiers inspectaient le corps des flanqueurs que Don et moi avions touchés. L'un était mort sans l'ombre d'un doute et l'autre avait pris deux balles dans la poitrine, je ne donnais pas cher de sa peau. La troisième victime, le gars que j'avais eu au début en visant son chef, avait repris connaissance et gigotait avec force cris de souffrance. Une poignée de flics étaient à son chevet et appliquaient tant bien que mal un vêtement sur la plaie pour enrayer l'hémorragie.

On avait réalisé un beau carton, trois sur trois.

Je songeais aux dégâts que nous avions causés et s'imprima alors sur ma rétine l'image de l'homme abattu par Don, le sang giclant de son crâne au moment de l'impact. Je le revoyais s'écrouler au ralenti, me permettant de ne pas perdre une miette de ses derniers instants.

Il était là, devant moi, ses yeux vitreux plantés dans les miens. Mi-morts mi-vivants, ils étaient à la fois lointains et accusateurs ; éteints et enflammés.

Une autre image, un autre cadavre jaillit des profondeurs de ma mémoire et s'y superposa.

Mon ventre se contracta brutalement. J'eus tout juste le temps d'ouvrir la portière avant de dégobiller tripes et boyaux sur le sol.

Un haut-le-cœur d'une incroyable violence me secoua, suivi d'un deuxième, puis d'un troisième. Et quand je crus que je n'avais plus rien à évacuer, de nouveaux soubresauts me prouvèrent le contraire. La gorge en feu à cause des remontées de bile, je laissai échapper un râle de douleur.

Le prix du passéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant