Chapitre 15

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Doniel voulut m'emmener sur le continent pour me faire goûter la prétendue « meilleure saucisse de la ville » dans un établissement dont c'était la spécialité, mais je refusai son offre, préférant ne pas trop m'éloigner de chez moi. Comme je connaissais le quartier mieux que lui, je lui indiquai la première adresse décente qui me vint en tête et montai dans sa voiture.

En route, mon ex essaya tant bien que mal de meubler le silence, sauf que le cœur n'y était pas vraiment, alors il finit par se taire. Je regardai par la vitre, le poing sur la joue, et remarquai qu'une fine pluie se mettait à tomber. Il avait fait grand soleil toute la journée, et le temps avait viré au gris sombre durant notre longue discussion à la maison.

Comme moi, quoi.

Ce n'était pas la première fois que ce genre de phénomène se produisait et je songeai que, peut-être, je détenais un quelconque pouvoir sur la météo. C'était absurde, évidemment, mais ça me fit marrer deux secondes de m'imaginer en train de faire littéralement la pluie et le beau temps à Simargue.

Des conneries, oui. J'ai même pas le contrôle de ma vie, alors le climat, j'en parle pas...

On arriva devant La Coquecigrue, un restau qui proposait davantage de la bouffe de bistrot que de la cuisine gastronomique. Don se gara sur l'aire de stationnement à côté et on se précipita à l'intérieur, faute de parapluie à disposition.

Comme je m'y attendais, l'endroit était bondé et on nous fit patienter dans un coin de l'entrée un bon quart d'heure qu'une table se libère. Une serveuse aux traits tirés nous conduisit ensuite en plein milieu de la salle principale, où régnait l'ambiance joyeuse des bons buveurs et des gros mangeurs, avant que l'alcool ne tourne au vinaigre et que leur panse ne se dilate à outrance. Un potin pas possible montait de la tablée voisine, où une quinzaine de personnes, hommes et femmes mélangés, semblait se livrer au concours de celui ou celle qui ferait rire le plus grassement les autres convives. À intervalles réguliers, de gros esclaffements à demi-forcés s'échappaient de la troupe, qui levait le coude et plantait la fourchette avec un appétit vorace.

Du vacarme à tout va qui rendait ardue toute amorce de conversation.

Parfait, c'est exactement ce qui me fallait.

J'hésitai un instant à partir, mais je n'avais pas le courage d'aller ailleurs et restai finalement assise. On nous apporta les cartes dans la foulée et chacun de nous se plongea dans le menu, en prenant soin de se concentrer autant que possible sur ce qu'il y avait d'écrit. Au bout de quelques minutes à contempler pour la énième fois la même page, je coulai un regard en direction de Don. Je pus lire sur son visage contrarié qu'il commençait à regretter ou bien son initiative ou bien mon choix de restaurant.

Lorsque le menu n'eut plus de secret pour nous et que prolonger notre mutisme relèverait dès lors de l'impolitesse, nous hélâmes une autre serveuse et passâmes commande. Par un hasard facétieux, nous avions sélectionné le même plat, une salade composée. Don y ajouta un pichet de vin et moi une carafe d'eau. Quand la femme eut tourné les talons, nous nous regardâmes enfin et il se pencha vers moi.

— Je ne sais pas si on va pouvoir aligner deux mots, me cria-t-il à moitié.

— Ça en fait déjà onze, c'est pas mal, lui répondis-je d'un ton pince-sans-rire.

Il me fixa un instant sans comprendre la blague, puis un sourire de traviole chassa son air grognon.

— Tu as encore ton sens de l'humour, c'est bon signe !

Pour ce que ça vaut...

Je m'abstins néanmoins de tout commentaire à voix haute, et haussai les épaules d'un air las.

Le prix du passéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant