Chapitre 6

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Don avait vu juste. Le lendemain matin, Simargue ne parlait plus que de la mort de Victor Chappelle. Tous les journaux de la ville en faisaient leur une et les émissions matinales des radios tournaient en boucle dessus. Les piliers de bar s'étaient trouvé un sujet de conversation parfait pour tuer le temps dans leur débit de boissons préféré. Dans les lieux publics, les commerces, les salles d'attente, les halls d'immeuble, les ascenseurs, la nouvelle se propageait et les gens n'avaient dès lors plus que ça à la bouche.

Je fis comme tout le monde et me procurai un exemplaire du Courrier Libre, l'un des plus gros organes de presse du pays. Je dus débourser huit lanstrois auprès d'un petit futé qui avait pratiquement dévalisé le kiosque voisin pour les revendre deux fois plus cher en jouant les crieurs de rue. J'avais la flemme de marcher pour l'acheter ailleurs, et encore plus de faire la queue une plombe juste pour un journal.

J'attendis d'être rentrée pour regarder la une. Pas de surprise, une photo grand format de feu le PDG était en couverture, suivie en page 2 d'un article de trois pages. Je le parcourus d'abord en diagonale et délaissai ensuite toute la rubrique nécrologique pour me concentrer sur ce qui concernait les circonstances de sa mort.

D'après les informations récoltées par le journaleux du Courrier Libre, un incendie s'était déclaré dans la nuit de solini à luni sur le domaine des Chappelle, au niveau d'une cabane que la victime avait entièrement rénovée dans les années 170 pour en faire un joli nid douillet où il aimait se retirer. À cause de sa proximité avec les bois attenants au terrain familial et du fort vent qui soufflait cette nuit-là, le feu avait rapidement gagné la première rangée d'arbres, puis les suivantes.

L'alerte avait été donnée par l'une des domestiques des Chappelle, dont la chambre plein nord offrait une vue sur la dépendance au loin. Tenue éveillée par une insomnie, elle avait tout de suite aperçu les flammes et averti le reste de la maisonnée. Les pompiers mobilisés sur place avaient lutté jusqu'au matin contre l'incendie, qui avait ravagé deux hectares au total. C'est en fouillant les ruines fumantes de la retraite de Victor Chappelle que son corps — ou ce qu'il en restait — avait été retrouvé et identifié.

Le point le plus crucial de l'article, que la manchette de la une ne se privait pas de dévoiler en grosses lettres, se trouvait dans les conclusions préliminaires de la police. Selon les premières constatations, le feu s'était répandu à une vitesse anormalement élevée et des traces d'essence auraient été décelées. Les enquêteurs privilégieraient donc la piste criminelle. Mes mains se crispèrent instinctivement en lisant ça. Qui disait crime disait coupable. L'assassinat de l'un des dirigeants emblématiques du Lanstrelet constituait un événement retentissant qui allait faire couler beaucoup d'encre. D'après ce que Doniel m'avait dit, son supérieur devait subir une énorme pression de sa hiérarchie et avait mis sur les rangs une ribambelle de flics pour découvrir la vérité.

Et moi, j'étais un des petits maillons de départ d'une grande enquête en devenir. Il était vital que j'obtienne des résultats. C'était l'occasion ou jamais de faire mes preuves et de me hisser — un temps, du moins — dans la cour des grands.

Problème : la police ne devait pas savoir que je mettais mon nez dans leurs affaires. Don n'avait aucun intérêt à cafter, mais j'allais devoir faire gaffe quand même. Les flics avaient les détectives en horreur ; un seul faux pas qui parvenait aux mauvaises oreilles, et je risquais de dire adieu à ma carrière.

Dans le même temps, le désir de coincer l'assassin me démangeait sérieusement. Et qu'est-ce qu'on fait quand une saloperie d'urticaire vous donne l'envie de vous gratter la couenne jusqu'au sang ?

Bah, on gratte. Et alors... ah, souffrance et délivrance !

Plus d'hésitation.

Fonce, ma fille, fonce.

Le prix du passéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant