10. Ravitaillement

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Le café s'avéra être une sorte de tisane à l'arôme puissant, qui dégoûta Arthur à la première gorgée, puis l'apaisa à la seconde. Le jeune roi n'avait pas réalisé combien il avait froid, malgré sa tunique, malgré la chaleur qui régnait dans les appartements de la fausse Morgane, et il joignit les mains autour de sa tasse, épaules basses, toujours secoué.

La jeune femme s'installa en face de lui, à la petite table glissée dans sa cuisine. Arthur n'y reconnaissait rien, ni four, ni foyer, mais une armoire lumineuse semblait servir de garde-manger glacial. Dans le fond, à la minute présente, il s'en souciait très peu.

— Tu n'aurais pas dû voir ça. C'est... choquant, je suppose, mais ça ne se produira pas. Il faut le voir... comme un rêve. Un cauchemar, je veux dire.

— Cela semblait si réel.

La jeune femme se mordilla la lèvre inférieure. Sa ressemblance avec Morgane était sidérante, mais elle n'en avait ni les prunelles ni les cheveux. Sans sa cape, elle révélait une coiffure très courte pour une femme, qui ne lui arrivait même pas aux épaules, aux mèches rousses plutôt qu'aile de corbeau.

— Je sais. Si réel.

Elle versa du lait dans sa tasse. La bouteille dont elle le sortit paraissait presque ordinaire.

— Qui êtes-vous ? demanda Arthur.

— Je m'appelle Nina. Je suis... ah... une amie.

Sur une grimace, elle se leva et gagna le garde-manger, qu'elle ouvrit, puis referma sans rien en sortir.

— Tu dois avoir faim.

Son estomac retourné lui clamait le contraire, mais elle avait raison, il fallait qu'il se nourrisse.

— Nous parlerons quand Hector sera réveillé, ajouta-t-elle.

Pendant quelques minutes, elle ouvrit les armoires dans un petit vacarme inoffensif. Arthur tentait d'échapper aux images de la lame perforant son ventre, de l'expression obscène de son visage, la stupeur, la souffrance, la rage, le désarroi. Son visage. Celui d'un autre. Un futur qui ne serait pas. Il passait une main nerveuse sur son cou. Il savait que l'homme à la hache l'avait décapité. Sans l'avoir vu, il pouvait l'imaginer, une main serrée dans ses cheveux, la tête brandie dans l'air froid, le trophée des ténèbres, le roi promis, vaincu, déshonoré.

La nausée le saisit, puis une paume froide effleura la sienne.

— Arthur, murmura Nina.

Il opina du chef, les tripes nouées.

— Comment va ton côté ?

Sans répondre, il souleva sa tunique, révélant la fleur pourpre de sa meurtrissure. Les bords avaient jauni.

— C'est moche mais il n'y a rien de cassé.

Comment le savait-elle ?

— Vous êtes quand même magicienne, souffla Arthur.

La jeune femme secoua la tête.

— On me l'a dit. Qu'il n'y avait rien de grave.

— Merlin vous l'a dit.

À ce nom, Nina se figea, un quart de seconde, juste assez longtemps pour qu'Arthur comprenne qu'elle ne portait pas l'enchanteur dans son coeur.

— Oui. Il me l'a dit.

Soudain, il songea à la manière dont elle l'avait convaincu de la suivre, la veille. En lui parlant de l'épisode du poisson. Comment pouvait-elle le savoir ? Il se souvint aussi que les rapports de Viviane et Merlin n'étaient pas toujours au beau fixe, que son mentor avait pu lui confier des secrets puis le regretter ensuite.

Les Héros de RienOù les histoires vivent. Découvrez maintenant